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commandés tapèrent exactement en son centre ! C’était merveilleux de précision. Pour apprécier l’exactitude de ce tir, il faut savoir qu’à 3 800 mètres, une augmentation d’un demi à l’appareil de pointage signifie qu’il faut porter le tir 1m, 60 plus à gauche. Le jour où les Allemands tireront comme cela, la guerre sera finie depuis longtemps ! Inutile de dire que les mitrailleuses ne se firent plus remarquer !

Le 30, rien à signaler : nous étions de mieux en mieux dans nos abris creusés dans le remblai, pour trois hommes ; la pluie ni la fraîcheur ne nous inquiétaient. Nous y serions bien restés cent ans ! Naturellement, nous dûmes les quitter le lendemain.


XI. — SUZANNE-MARICOURT

Lorsque le groupe quitta sa position, je reçus du lieutenant orienteur l’ordre d’attendre un camarade, parti pour transmettre un renseignement, et d’aller, avec lui, en chercher deux autres qui assuraient la liaison avec l’infanterie. C’était une liaison dangereuse, car les abords du village, du côté français, étaient battus par les mitrailleuses ennemies tirant sur tout homme qui se montrait. Mon camarade connaissait l’endroit ; il préféra y aller plutôt que moi qui n’y étais jamais venu, et il partit, me laissant la garde de nos chevaux dissimulés derrière une meule de paille. Au bout d’une demi-heure qui me parut interminable, tant j’étais inquiet du sort de cet excellent garçon, j’eus la joie de le voir reparaître sans accroc, ayant pu faire prévenir à la voix nos deux autres camarades ; eux aussi passèrent sans mal, si bien que nous étions d’une gaîté folle en allant à la recherche de nos batteries. Il se préparait un « coup dur : » de l’arrière avançaient de nombreux renforts d’infanterie et d’artillerie ; nous pûmes évaluer à 70 batteries de campagne, et de lourde la force d’artillerie opposée aux Allemands ; cela nous donna une grande confiance qui ne fut pas trompée.

Sans trop de difficultés, nous retrouvâmes le groupe en position d’attente, dans un large ravin, ce qui nous permit de manger enfin quelque chose : il était 14 heures et demie, et nous n’avions pas eu une miette de « becquetance. » Enfin, après une bonne heure d’impatience, la reconnaissance partit pour la mise en batterie. Le colonel avait voulu l’indiquer lui-même au commandant, tant elle était importante : de là