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dans ma maison ! C’est grossier, vraiment, c’est inconcevable ! » Et il blaguait ainsi, tranquillement, avant de retourner à son poste qui était presque entièrement bouleversé.

La journée s’écoula pour nous sans autre incident notable ; les Allemands ne purent en dire autant. Vers le soir, un instant avant de rentrer à leurs pièces, nos officiers aperçurent tout à coup une force d’infanterie d’à peu près 800 hommes, progressant par bonds dans notre direction, sans tirer un coup de fusil, à environ 900 mètres. Ils avaient pu approcher sans être aperçus, grâce à la faible visibilité de leur uniforme qui se fondait parfaitement avec le terrain ; les reflets de leurs baïonnettes seuls avaient attiré l’attention ; il était temps d’agir ! Ce fut terrible ! La 6e tira à balles, la 5e à explosifs, en fauchant ; en moins d’une minute, l’attaque ennemie fut complètement anéantie ; les sections étaient rasées par rangs entiers, et l’effet de nos obus fut tel que, seuls, deux hommes, — dont un semblait blessé, — se relevèrent au milieu des corps de leurs camarades et s’en retournèrent vers leurs lignes, appuyés l’un contre l’autre : tous les autres étaient tués ou blessés !


Je mettais naturellement mes jours de repos à profit pour tâcher de me faire une vie aussi confortable que possible.

Notre coiffeur travaillait tous les jours ; aussi vit-on tomber toutes les barbes hirsutes que nous avions fait vœu de porter pendant la durée de la guerre. Redevenu ainsi plus présentable, je me mis à la recherche d’une femme disposée à laver mon linge et à me faire un peu de cuisine chaude et abondante, qualités peu fréquentes à l’ordinaire. Je dénichai la ménagère rêvée qui, peu à peu, devint tout à fait notre amie. Dans les derniers temps de notre séjour, nous trouvâmes même à coucher dans cette maison pourtant bien remplie par les quatre gosses de la patronne ; notre présence l’aidait à triompher de la peur d’un bombardement de nuit, lequel, d’ailleurs, n’a jamais eu lieu ; mais comme il pleuvait et faisait froid, nous étions ravis d’être à l’abri.

Nous causions longuement aux repas : elle nous racontait le passage des Allemands à Suzanne, au mois d’août, leur retraite ensuite, ses angoisses au sujet de son mari qui combattait dans un régiment territorial ; enfin, c’était toujours la guerre qui