Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 28.djvu/842

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont été trompés, bafoués, conduits par le bout du nez par leur Empereur et la caste militaire !

Le 13, un ordre du jour porta à notre connaissance la fameuse circulaire adressée à tous les officiers par l’état-major allemand, et dont une phrase commençait ainsi : « Si nous voulons tâcher d’égaler l’artillerie française… » Il y était aussi question de l’habileté des Français à se cacher des aéroplanes, « qui ne découvraient pas leurs positions, » et de l’audace de leurs aviateurs que les pilotes allemands devraient imiter… Ce document symptomatique, qui a été reproduit longtemps après par la presse française, nous avait vivement intéressés : on l’avait trouvé sur un colonel allemand fait prisonnier.

Enfin, vers le soir, nous parvint, par la voie des journaux, une grave nouvelle, celle de la prise d’Anvers. Elle nous causa bien une certaine déception, mais je pris la parole avec véhémence pour rassurer les camarades et leur démontrer, d’une façon irréfutable, « qu’il n’y avait pas là de quoi se frapper. » Ils furent convaincus ; cela valait mieux que de les laisser en proie au doute qui les aurait amenés à désespérer de l’issue de la guerre, par une pente toute naturelle. D’ailleurs, je pensais vraiment que, puisque l’armée belge était sauve, il n’y avait que demi-mal.


XII. — ALBERT — LA BOISSELLE :

Dimanche 18, en pleine nuit, nous quittons Maricourt, afin de nous trouver à la pointe du jour un peu à l’Est d’Albert, face à La Boisselle, pour soutenir une attaque sur ce dernier point : marche très pénible, à cause de l’obscurité, de la pluie et de la fraîcheur. Il y a devant nous de l’artillerie lourde, précédée elle-même par de l’infanterie, qui avance très lentement ; nous marchons comme des tortues, nous arrêtant à tout instant ; c’est énervant au possible ! Notre rôle d’éclaireurs, en marche, est de jalonner la route pour les batteries qui nous suivent, tandis que l’officier orienteur nous précède et reconnaît le bon chemin ; de jour, c’est excessivement facile, mais, de nuit, c’est pénible, — particulièrement quand il fait très sombre, — à cause du sommeil qui nous poursuit, nous couche sur nos sacoches, et contre lequel il faut continuellement réagir. On s’endort ainsi, souvent, une ou deux minutes, jusqu’à ce que l’appel d’un