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maîtresses des premières maisons du village. » — « Malgré plusieurs assauts, il n’a pas été possible d’arriver aux mitrailleuses ennemies qui nous font beaucoup de mal ; le combat continue. » — « Nous suspendons l’attaque ; on va établir des boyaux de communications avec les deux sections isolées pour le ravitaillement et les renforcer, de façon à conserver le terrain gagné. » Et plus tard, le compte rendu des pertes : 200 tués, autant de blessés… Toutes ces paroles portant l’espoir ou l’inquiétude qui frappaient le récepteur avec la même sonorité métallique, que de sentimens divers elles éveillaient en nous, forcément passifs par notre rôle même, mais dont l’esprit, tendu comme la corde d’un arc, agissait en même temps que nos camarades dont nous entrevoyions, fugitivement, là-bas, le sublime effort !

La dernière attaque eut lieu le 1er novembre.

Le 2, dans tous les villages de notre front, fut dite la messe de la Toussaint. L’église était trop petite pour contenir la foule de soldats de tous les régimens qui se pressaient pour l’entendre ; beaucoup durent rester dehors, aux portes, tête nue, l’oreille tendue vers le chœur d’où parvenait, comme un murmure, la voix de l’aumônier, des servans et quelques mesures des chœurs chantés par tous les assistans. Dans le cimetière, autour de l’église, beaucoup de tombes fraîches surmontées d’inscriptions de la veille, avec la mention : « Mort pour la patrie. » Au loin, le canon grondait, inlassablement… Les mots de patrie, de victoire, de mort, de paradis, revenaient dans les paroles du prêtre : que de belles choses à dire devant un tel auditoire composé d’hommes auxquels la lutte et la mort sont devenues si familières ! en avait-il jamais rencontré un aussi favorable, aussi bien disposé à comprendre ? Un écrivain de talent aurait fait une bien jolie page en dépoignant ce poignant tableau, d’ailleurs reproduit à tant d’exemplaires, car à la même heure, dans toutes les églises près de la ligne de feu, c’était la même cérémonie si touchante, le même pieux pèlerinage de tous les combattans, tous membres de la même famille, la même évocation des camarades dont nous célébrions la glorieuse mort à l’ennemi. Derrière le front, dans le pays que nous avions garanti de l’invasion, on n’a pas vu de si belles choses !

La journée fut calme, plus de marmites, plus d’ordres à transmettre ! Je passai un bon moment avec deux chasseurs