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leur horizon brumeux. » A Fondi, sous un bois d’orangers, il se souvient des vergers normands ; dans le cratère du Vésuve, il retrouve le silence des forêts du Nouveau Monde ; à Patria, où il cherche vainement le tombeau de Scipion, des terrains semés de fougères lui donnent le regret de la Bretagne.

Les événemens, du reste, le rappellent. Un décret du Premier Consul a créé pour lui un poste de ministre à Sion, capitale de la république du Valais. « Bonaparte comprit, déclare-t-il modestement, que j’étais de cette race qui n’est bonne que sur un premier plan. » Combien je regrette que Chateaubriand n’ait pu promener son éternel ennui dans cette haute vallée du Rhône, qui m’a toujours paru le plus triste pays du monde ! Rentré à Paris vers la fin de janvier, il se préparait à rejoindre son poste, lorsque l’exécution du duc d’Enghien, le 21 mars suivant, le décida à donner sa démission.


Deux ans plus tard, Chateaubriand partait pour l’Orient. Après M. Bédier, dont l’impitoyable critique réduisit le voyage en Amérique à une excursion au Canada, M. Masson, dans un récent numéro de cette Revue, a vérifié l’horaire et l’itinéraire de ce nouveau voyage. Le séjour en Italie ne pouvait prêter à la moindre supercherie. Chateaubriand quitta Paris le 13 juillet 1806, et, traversant de nouveau le Mont-Cenis, gagna Milan. Il s’arrêta quelques instans à Vérone, Vicence et Padoue. Le 23, il est a Venise. « J’examinai pendant cinq jours les restes de sa grandeur passée : on me montra quelques bons tableaux du Tintoret, de Paul Véronèse et de son frère, du Bassan et du Titien. Je cherchai dans une église déserte le tombeau de ce dernier peintre, et j’eus quelque peine à le trouver. » Voilà tout ce que lui inspire Venise. Pas un mot du pittoresque de la ville qu’il voyait pour la première fois. Et ce n’est pas simple oubli d’écrivain ayant hâte de voguer vers la Grèce : Venise lui déplut. Nous en avons la confirmation dans une très curieuse lettre qu’il envoya de Trieste, quelques jours après, à son ami Bertin. Elle est peu connue ; il est indispensable d’en reproduire les passages essentiels. « .. Cette Venise, si je ne me trompe, vous déplairait autant qu’à moi. C’est une ville contre nature. On n’y peut faire un pas sans être obligé de s’embarquer, ou bien on est réduit à tourner dans