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de Duras qu’il reviendra par Gênes, pour visiter une des rares villes d’Italie qu’il ne connaît pas ; mais il n’en a point le loisir et rentre rapidement, le prince de Metternich étant d’avis qu’il aille rendre compte à Paris de certaines confidences a lui faites par l’empereur de Russie. « Nous quittâmes Vérone le 13 décembre, jetant un œil de regret sur l’Italie, mais nous consolant dans la pensée d’aller continuer nos Mémoires à la pâle lumière du soleil qui avait éclairé les misères de notre jeunesse. »


Six ans plus tard, à la formation du ministère Martignac, Chateaubriand acceptait l’ambassade de Rome. Le seul nom de l’Italie, déclare-t-il, avait fait disparaître ses répugnances. On lui avait offert le poste pour ne plus l’avoir à Paris. Comme le dit M. Beaunier : « On s’était, avec munificence, débarrassé de lui. Et il était parti avec chagrin. Sa femme l’accompagnait : ce n’était pas pour lui faire aimer mieux ce bel exil. »

Sur ce nouveau séjour de sept mois dans la péninsule, nous avons d’abondans documens : de fréquentes lettres à Mme Récamier, — qu’il n’oublie pas, même lorsqu’une nouvelle affection vient charmer sa solitude, — et près de deux cents pages des Mémoires. La majeure partie relate les faits de son ambassade et les événemens du Vatican ; mais de nombreux fragmens, consacrés à la littérature et à l’art, s’y mêlent agréablement, suivant un procédé qui fait de ce livre, au dire de Jules Lemaître, « un grand chef-d’œuvre, le plus divertissant et le plus éclatant qui soit. »

Chateaubriand s’étend, plus complaisamment que d’habitude, sur son itinéraire et sur les villes qu’il visite avant Rome. Il traverse de nouveau le Simplon, où il admire le premier sourire d’une heureuse aurore. « Les rochers, dont la base s’étendait noircie à mes pieds, resplendissaient de rose au haut de la montagne, frappés des rayons du soleil. » Mais, dès l’arrivée à Arona, sa mélancolie le reprend et il s’aperçoit avec tristesse que la soixantaine a sonné. « Appuyé sur le balcon de l’auberge à Arona, je regardais les rivages du lac Majeur, peints de l’or du couchant et bordés de flots d’azur. Rien n’était doux comme ce paysage, que le château bordait de ses créneaux. Ce spectacle ne me portait ni plaisir ni sentiment. » D’ailleurs, comme il est résolu à s’ennuyer, — ce à quoi il excelle, — tout