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REVUES ÉTRANGÈRES

LA FAILLITE DE LA LITTÉRATURE
ET DE L’ART ALLEMANDS


Je crois très sincèrement et sans aucun parti pris, — comme je l’écrivais ici le mois passé[1], — qu’il n’est point possible de tenir l’Allemagne pour l’une des « grandes nations intellectuelles » de l’Europe. Je crois qu’il n’est point possible de regarder comme « grande » une nation d’un génie aussi évidemment incomplet, et chez laquelle un développement remarquable de la double faculté du rêve « musical » et de l’utilisation pratique s’est toujours accompagné d’une extrême faiblesse du sens de l’observation désintéressée. Je comprends fort bien que, dans tous les pays en dehors de l’Allemagne, des hommes se rencontrent pour admirer passionnément la production artistique de la patrie de Mozart et de Novalis et d’Hoffmann, tout de même que m’apparaît excusable. — sinon, à coup sûr, également légitime, — l’admiration d’autres étrangers pour la patrie des Frédéric II et des Bismarck, des Zeppelin et des Krupp, de ces étonnans « praticiens » toujours prêts à exploiter les moindres occasions d’un profit « temporel : » mais avec tout cela l’Europe entière a eu, depuis des siècles, l’impression plus ou moins consciente d’une grave lacune existant au fond de l’âme nationale allemande. Et nulle part peut-être, comme je le disais encore il y a un mois, la nature et la portée réelles de cette lacune ne se manifestent à nous plus clairement que dans l’impuissance foncière de la littérature allemande à imprégner de « vie » une figure humaine. Un Molière ou un

  1. Voyez la Revue du 15 juillet 1915.