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l’espèce d’une dizaine d’édifices publics ou privés brusquement surgis de terre pour remplacer les pittoresques ruelles anciennes des environs de la gare de Cologne. Aussi bien nos journaux illustrés nous ont-ils permis de nous faire une idée suffisante de cet art, proprement incroyable, en reproduisant l’ensemble et les détails principaux du monument élevé, par souscription nationale, à Leipzig pour commémorer la « Bataille des Peuples » de 1813. C’est seulement dans le domaine de l’architecture que l’Allemagne, à la veille de la guerre, s’efforçait encore de poursuivre l’affirmation de son génie artistique ; et je doute que, — fût-ce même parmi ceux d’entre nous qu’avait le plus profondément imprégnés la funeste « intoxication » allemande dont nous voici, enfin, délivrés par miracle ! — je doute que personne jusqu’ici ait pu s’empêcher d’éprouver, en présence de ces dernières créations du seul art désormais survivant d’outre-Rhin, l’impression comme d’assister au déploiement de la fantaisie collective des pensionnaires d’un asile d’aliénés. Que mon lecteur veuille simplement rechercher, dans l’Illustration du milieu de 1913, ces photographies de l’étrange monument de Leipzig, et qu’il se représente des milliers de mauvais rêves architecturaux d’une conception non moins effarante, remplissant et écrasant de leurs masses les immenses « artères » nouvelles des plus riches parmi les cités allemandes ! Des maisons dont les façades ont positivement pour objet d’imiter des visages humains, avec des fenêtres en guise d’yeux, des balcons faisant office de nez, et des portes trop larges qui doivent être là pour rappeler des bouches ! Ou bien d’autres maisons avec des simulacres de pieds et de mains, de telle sorte qu’en les approchant on redoute de tomber au pouvoir de quelque terrible gorille antédiluvien ! J’ai vu tout cela, certain soir, au cours d’une promenade entre la gare de Cologne et l’antique sanctuaire de Saint-Géréon, — et tout cela plus ou moins revêtu d’une consécration officielle : bureaux de poste, mairies, comptoirs d’assurances ou d’établissemens financiers. J’allais, considérant avec stupeur ces récentes trouvailles de l’architecture germanique ; et je me souviens que, dès ce moment, les cerveaux des auteurs de ces trouvailles, et ceux aussi des fonctionnaires ou des particuliers qui les avaient approuvées, me faisaient involontairement l’effet d’appartenir à une humanité d’un genre spécial, où se seraient soudain réveillés je ne sais quels instincts étouffés, d’ordinaire, sous des siècles de civilisation artistique et morale.

Mais plutôt il sied de ne reconnaître là, je le répète, que des