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On n’imagine pas la quantité de traductions qui, durant ces derniers temps, remplissaient les pages d’annonces de la librairie allemande. Pas une des littératures du monde, sans en excepter la bulgare ni la japonaise, qui n’y fût représentée par des échantillons de mérites divers. Un modeste abonné d’un cabinet de lecture berlinois pouvait s’offrir la jouissance de voir défiler sous ses yeux toutes les créations, anciennes ou récentes, de nos romanciers et de nos poètes, de ceux d’Angleterre et de Pologne, d’Italie et de Norvège, de tout pays où avait pénétré l’usage public du porte-plume. Pour ne rien dire des précieux services que m’a rendus à moi-même, par exemple, la certitude de pouvoir toujours me mettre en contact, — au travers d’une médiocre, mais peu coûteuse, traduction allemande, — avec telle œuvre d’un pays étranger dont j’ignorais la langue. Et comme la durée de nos loisirs humains est fatalement limitée, et comme, d’autre part, l’abondance croissante de ces traductions allemandes suffirait à nous en prouver l’énorme succès, tout porte à croire que l’Allemagne d’avant la guerre en était arrivée à ne plus s’occuper du travail de ses propres écrivains indigènes. Elle en était arrivée à négliger ce travail à peine moins complètement que celui de ses peintres ; et sans doute ses querelles littéraires avaient lieu, maintenant, entre les partisans d’Oscar Wilde et ceux d’Artsybachef, de la même façon que ses querelles artistiques mettaient aux prises les adeptes de Van Gogh et ceux de nos « cubistes. »

Mais, en tout cas il est certain que l’espèce des écrivains allemands était en train de s’éteindre, — et sans qu’il fût possible d’attribuer son extinction à l’effet meurtrier d’un génie trop immense, comme l’avait été en musique celui de Wagner. Bien médiocres, au contraire, étaient déjà les romanciers et poètes allemands de la génération précédente. L’admiration qui entourait leurs noms, dans leur pays, nous empêchait seule d’apercevoir nettement, — et surtout d’avouer, — la pauvreté de pensée et de rêve qui s’étalait dans l’œuvre d’un Gustave Freytag ou d’un Paul Heyse. Mais combien plus misérable encore la génération littéraire qui est venue ensuite ! Cette fois, j’ai beau chercher : c’est un vide absolu, et au-dessus duquel ne flotte plus même la petite lumière qui scintillait autour de la figure d’un Nietzsche. Ah ! combien nous ressentirons de surprise quelque peu honteuse, lorsque, après l’apaisement de nos angoisses présentes, nous nous rappellerons l’accès de « snobisme, » — ou de « suggestion, » — qui, naguère, nous a poussés à prendre au sérieux les plates divagations de M. Gérard Hauptmann ! Et quelle stupeur lorsque nous