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1871, un major saxon, lourd colosse à la barbe en éventail, salua ma mère sur le pas de notre porte, et, avec une emphase un peu grotesque, lui déclara :

— Madame, je vous annonce la paix !

La paix ! C’était un mot inconnu, qui entrait dans mon petit vocabulaire puéril. Je n’en comprenais guère le sens, mais, rien qu’à la mine du major, je devinai qu’il s’agissait d’un événement d’importance. C’est pourquoi j’en fus extrêmement frappé. Quelle amère ironie ! Ce mot de paix, c’est par une bouche allemande que je l’ai entendu prononcer pour la première fois. La paix qu’elle nous annonçait, n’était aussi, hélas ! qu’une paix allemande.

Et puis, le village se remit à vivre de sa vie monotone. Les travaux reprirent leur cours avec les saisons. On éprouvait une telle hâte de réparer les maux de la guerre, qu’on ne pensait, pour ainsi dire, plus aux envahisseurs. Pourtant, ils étaient tout près de nous. Ils occupaient encore Verdun. A Etain, à douze kilomètres de Spincourt, ils campaient dans des baraquemens, qui ne disparurent que longtemps après leur départ. Un beau jour, on signala leur approche, avec un peu de l’angoisse trépidante, qui nous avait secoués, lors de leur premier passage. Le branle-bas des réquisitions, et des billets de logement recommença. Le défilé de l’évacuation dura longtemps. Mais, cette fois encore, — il faut le dire bien haut, à la honte de leurs fils et de leurs petits-fils, — ils se montrèrent, somme toute, fort débonnaires.

Entre deux étapes, ils faisaient l’exercice sur la place de l’église, spectacle passionnant pour les gamins de mon âge. Jusqu’à cette époque, nous n’avions jamais vu de soldats français, — pas même pendant la guerre. Je fais exception pour les pantalons rouges, qui m’avaient tant émerveillé, en 1869, sur l’Esplanade de Metz. Mais ce souvenir était alors bien confus dans mon esprit. En réalité, nous ne connaissions d’autre uniforme que celui des Allemands. Pour les enfans de ma génération, être Prussien et être soldat, c’était tout un. Nous disions : « faire le Prussien, » au lieu de : « faire l’exercice. » Durant quelques années, l’usage se maintint. Quand un garçon du pays partait pour son service militaire, nous disions en toute naïveté : « Il est Prussien à Reims, à Charleville. » Et, quand il revenait en permission, avec son bel uniforme de cuirassier