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armées du monde ! Affaiblie par des combats incessans, elle ne comptait plus que quarante-huit mille fusils. Avec la brigade Ronarch qui avait été placée sous les ordres du Quartier général belge, cela faisait cinquante-quatre mille combattans. Ils étaient échelonnés sur trente-six kilomètres. De Boesinghe a la mer leur ligne suivait du Sud au Nord le canal d’Ypres a l’Yser, jusqu’à l’ancien fort de Knocke, et prenait ensuite jusqu’à son embouchure le tracé du fleuve lui-même. Quoique la densité des troupes fût bien faible pour l’étendue à défendre, elles se sentaient bien appuyées à la côte, bien Accrochées au cours d’eau, sûres d’elles-mêmes comme des autres.

En réalité, le front des Alliés n’était guère solide. On n’avait eu le temps ni de le renforcer, ni de le retrancher. Nul ne sut d’abord quelle serait, devant cette barrière si vite dressée, la direction que prendraient les masses allemandes chargées de la percer. Elles hésitèrent un peu. La route de Calais passerait-elle par Ypres ou par Furnes ? En enfonçant le saillant qui déjà se dessinait autour d’Ypres, les Allemands avaient l’avantage d’écraser du même coup, entre la côte et leur trouée, l’armée belge tout entière, prisonnière sur son dernier carré. Mais, en bousculant ce reste d’armée cramponnée aux berges d’un filet d’eau, le résultat n’était-il pas plus rapidement et plus facilement atteint ? Si l’offensive hardie que prirent bientôt les Alliés sur notre droite força l’ennemi à commencer la bataille d’Ypres plus tôt qu’il n’eût voulu, celle-ci ne prit son caractère violent et décisif qu’après la défaite subie par l’armée allemande sur le point de sa première ruée.

De Nieuport à Dixmude il y a dix-huit kilomètres. Le duc de Wurtemberg estima tout de suite que c’était contre ces deux villes, et entre ces deux villes, qu’il fallait agir vite et fort. C’est sur ces dix-huit kilomètres qu’allaient s’engager et se poursuivre, quinze jours durant, les plus glorieux combats de notre histoire.

L’Yser y fait une lente courbe. Il n’a pas vingt mètres de largeur. Il coulait paresseusement à travers un paysage idyllique, monotone et tendre. Ses digues vertes, invisibles de loin, formaient facilement un premier retranchement. Prêts à toute surprise, les soldats contemplaient longuement ce paysage nouveau. Devant eux, des prairies s’approfondissaient, bordées de saules ou de peupliers. Des villages aux tours carrées, blancs et