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ménagement : on pouvait occuper à des préparatifs indispensables les heures, ou même les jours, de la précaution diplomatique. Mais, dans la soirée du 10 juillet, Gramont télégraphie à Benedetti : « Vous ne pouvez vous imaginer à quel point l’opinion est exaltée. Elle nous déborde de tous côtés, et nous comptons les heures. Il faut absolument insister pour obtenir une réponse du Roi, affirmative ou négative. Il nous la faut pour demain : après-demain serait trop tard. » Trop tard, pour l’armée ? Non : trop tard, pour l’opinion publique. Benedetti avait exposé nettement les motifs de sa prudence, ou, si l’on y tient, de sa lambinerie. Les ordres de Gramont ne l’autorisaient point à continuer de même sorte. Il vit le roi Guillaume, lequel regretta de n’avoir rien à lui apprendre, ne sachant pas où était le prince Léopold, ne sachant rien. Conformément aux ordres de Gramont, Benedetti insista et dit qu’on touchait « au moment où le gouvernement de l’Empereur ne pourrait plus ajourner les explications qu’il devait aux Chambres et au pays : » de quoi, certes, le roi Guillaume se moquait un peu. Benedetti insista encore : on accusait, en France, le gouvernement de se laisser berner ; le silence auquel s’obstinait la cour de Berlin, comme aussi le pouvoir madrilène, l’opinion publique, en France, y voyait la preuve « d’une entente concertée contre nos intérêts. » Donc, le gouvernement de l’Empereur avait besoin d’une réponse-catégorique et sans délais. La suite, personne ne l’ignore. Et il est patent que, si Gramont pousse Benedetti à faire vite, la politique intérieure l’y engage : il s’agit de ne point offenser, par des atermoiemens, le pays et les Chambres ; en d’autres termes, l’opinion publique.

Si l’on prétend juger avec exactitude les préliminaires de nos désastres, il importe qu’on remarque ceci : la guerre de 1870 est, chez nous, la première (depuis les guerres de la révolution ; mais, les guerres de la révolution, leurs circonstances les séparent de toutes les autres), la première à la déclaration de laquelle ait collaboré d’une façon déterminante cette puissance nouvelle, l’opinion publique. Là-dessus, les discussions iront leur train naturel. On félicitera l’ancien régime, qui gouverna et sut garder à l’écart des égaremens populaires la diplomatie et ses conséquences. On observera que, dans notre histoire, les meilleures initiatives, en telle matière, sont dues à des ministres qui n’avaient pas à consulter l’opinion publique ;