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ah ! si les Habsbourg du XVIe siècle avaient pu s’affranchir des princes et seigneurs, restaurer l’autorité impériale et donner à leur Allemagne cette réforme centralisatrice que réclamaient un Nicolas de Cusa et les autres théoriciens de la respublica germanica !… La savante, riche, entreprenante et confiante Allemagne eût pris sans doute, dans les nouveaux mondes, que l’humanité chrétienne était en train de découvrir, la place qu’Espagnols, Portugais, Français, Hollandais et Anglais allaient y tenir durant deux et trois siècles ! de la mer du Nord et de la Baltique, la Hanse eût étendu son monopole vers l’Atlantique, le Pacifique, les océans de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique ! Hambourg fût devenu dès 1550 ce que nous l’avons vue en 1910 !…

Mais la réforme de Luther ayant assuré le triomphe de l’anarchie princière et la décadence, puis la disparition de l’autorité impériale, les libertés germaniques avaient ramené, avec le désordre intérieur et l’invasion étrangère, tous les désastres que Nicolas de Cusa, sans être un grand prophète, avait prévus : « Quand les princes auront détruit la puissance souveraine, disait-il, on arrivera nécessairement au désordre ; personne ne sera plus en sécurité ; les étrangers prendront notre place et se partageront ce qui nous appartient, et nous devrons porter le joug. »

L’Allemagne sans empereur avait vu ses champs ravagés, ses villes mises à sac, ses peuples décimés, ses ports, ses ponts, ses chemins abandonnés à la ruine ou ne servant qu’au rançonnement des riverains, son cheptel périodiquement détruit et l’incendie de la guerre civile ou étrangère se promenant toutes les dix années sur ses terres abandonnées de Dieu : après trois siècles (1525-1800) de meurtres et de pillage, qu’était-il resté de cette richesse allemande qui avait fait des Nuremberg, des Augsbourg et des Francfort les centres de la finance et du commerce européens ? Au début du XIXe siècle, après trois cents ans d’éclipse impériale, Allemagne et misère étaient devenues compagnes de chaîne sous la courbache des princes indépendans.

Mais, de 1800 à 1870, on avait vu l’exacte contre-partie de cette période néfaste : chaque étape vers le rétablissement de l’unité impériale avait été une reprise de la prospérité publique. L’unification napoléonienne avait commencé de rendre la vie à