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cette France allemande du Rhin, où la route, la loi et l’administration françaises avaient repeuplé les villes et remis les campagnes sous la charrue ; de même, les paysans affranchis, les biens d’Eglise sécularisés, les douanes de l’intérieur abolies, les privilèges de castes supprimés, les communications et les échanges assurés, la police rigide, inquisitoriale, mais égalitaire, avaient ressuscité, malgré la lourdeur des impôts et du service militaire, l’Allemagne française entre l’Elbe et le Rhin. Puis les trois efforts successifs de l’unification prussienne, Zollverein (1828), Confédération du Nord (1866) et Empire (1871), continuant l’œuvre de Napoléon, en avaient doublé l’étendue et décuplé les résultats.

En mars 1226, quand l’empereur Frédéric II concédait aux Chevaliers Teutoniques le droit de conquérir la Prusse et d’en « civiliser » les habitans, il leur ordonnait d’ « établir sur les plaines, les montagnes, les fleuves, les bois et la mer l’antique et sacré droit de l’Empire, » parce que « la terre elle-même est satisfaite sous la monarchie impériale. » C’est au pied de la lettre que l’on pouvait appliquer ces mots à l’Allemagne unifiée sous la monarchie bismarckienne. A coup sûr, l’hégémonie de Berlin n’avait pas satisfait tous les désirs de tous les peuples allemands. Mais elle satisfaisait tous les besoins de la terre allemande, et cela seul a toujours compté dans l’histoire germanique : quand l’empire de Charlemagne fut relevé par la dynastie saxonne des Othons, les vrais Allemands du Sud et de l’Ouest, que l’éducation carolingienne avait initiés aux douceurs de la loi romaine et de la civilisation franque, furent d’abord pleins de mépris et de répugnance pour ces Barbares du Nord, brutaux, insolens, puissans néanmoins par la méthode et par la fourbe, barbaros, brutos, contumaces, arte doloque tamen callentes ; mais cette répugnance tomba bien vite et ce mépris fut sans révolte ; dans les cœurs allemands, la résignation vient toujours avec le profit : « Le trait caractéristique du peuple français est de placer les besoins psychiques avant les besoins matériels, » écrivait M. de Bülow, qui admirait « l’humeur irréconciliable de la France » envers ceux qui lui avaient enlevé l’Alsace-Lorraine. Pas plus que le pouvoir des Othons, le pouvoir du Hohenzollern ne trouva nulle part en Allemagne d’humeur irréconciliable, parce qu’il sut toujours mettre les besoins matériels avant les besoins psychiques.