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la force des choses et le développement normal de la vie imposent aux communautés et aux fondations humaines : l’industrie et le commerce anglais, les usines de Manchester et de Birmingham, les ports de Liverpool et de Londres ne s’étaient accrus, au long du XIXe siècle, que pour répondre aux demandes de la clientèle anglaise, aux exigences de l’humanité. La gigantesque grappe des docks hambourgeois n’avait pas fleuri et mûri au flanc de l’Allemagne comme un gros raisin de vendange sur un vigoureux cep de plein vent, ni même comme un beau fruit de table sur une treille protégée : ce n’était que l’un de ces produits de serre chauffés, forcés, qui font la gloire d’un dîner d’apparat et l’émerveillement des curieux et des convives ; mais qui voudrait tirer son vin de telles merveilles risquerait fort de le payer très cher, et peut-être n’est-il pas au monde de royauté ni d’empire qui pût longtemps s’offrir le luxe quotidien d’une pareille boisson.

C’était la seule ambition impériale de régner sur les mers comme sur le Continent, d’imiter, d’égaler, de surpasser les Anglais, maîtres et seigneurs du commerce maritime, qui avait fait en moins de quarante ans cet Hambourg gigantesque que le monde émerveillé admirait en 1914. Durant quarante ans, de parti pris, de propos ininterrompu, on avait jeté, sans compter, les millions et les milliards dans les boues de l’Elbe, pour creuser et toujours agrandir des bassins qu’à coups de millions et de milliards, on peuplait de navires toujours plus nombreux et plus grands. Et l’on augmentait chaque année le nombre et le tonnage des monstres transocéaniques pour rendre insuffisantes leurs cages que l’on venait à peine d’achever. Et l’on multipliait ces cages, on les triplait de longueur et de largeur, on les doublait de profondeur, pour y loger les nouveaux monstres que l’on ne cessait de rêver et de construire toujours plus kolossaux.

Et jamais on ne voulait s’arrêter un instant pour souffler en cette course à la dépense, car toujours l’Angleterre était là qui tenait la tête et continuait de mener le train. De 1900 à 1912, le tonnage net des entrées dans les ports allemands (cabotage exclu) montait de 14 ou 15 millions à 25 ou 26 millions de tonneaux ; mais, dans le même temps, le tonnage de la Grande-Bretagne montait de 49 millions à 76. La flotte allemande de commerce passait (1901-1913) de 3 883 à 4 850 navires