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M. Salandra comme à un lieutenant qu’il se proposait de remplacer lorsque la charge deviendrait trop lourde et demanderait le retour du vieux pilote ? Et puis, c’était le Piémont, le Piémont militaire et loyaliste, que représentait M. Giolitti, où M. Giolitti était maître, c’était le Piémont, cœur de la monarchie, qui semblait venir avec lui à Rome, se présenter au Parlement et au palais royal… À tenir compte de tous ces élémens, la démarche de M. Giolitti, de qui l’on connaissait les doutes sur l’attitude la meilleure à observer par l’Italie, pouvait sembler capable d’arrêter net l’intervention.

Il importe d’ailleurs de se représenter de sang-froid les raisons pour lesquelles M. Giolitti était mal disposé à accepter l’idée de la guerre. Sa thèse tenait en un mot : le parecchio, un mot qui n’a été si impopulaire que parce qu’il entraînait un sens diminutif et que l’état d’esprit le plus général, en Italie, noblement ambitieux, tourné vers la grandeur et l’expansion nationales, était hostile aux combinaisons et aux marchandages[1]. M. Giolitti voyait la situation comme un homme positif, économe, qui n’aime pas le jeu, qui écarte le risque, qui se dit qu’un tiens vaut mieux que deux tu l’auras, surtout lorsque, pour l’avoir, il faut courir toutes les incertitudes d’une guerre, exposer de précieuses existences, payer les frais d’une campagne. Plus d’une fable de notre La Fontaine, plus d’un proverbe de Cervantes eussent peut-être, sur ce point, donné raison à M. Giolitti. Mais il y avait dans son cas autre chose encore : M. Giolitti appartient à une génération déjà ancienne, qui a vu les commencemens de l’Italie nouvelle, qui a connu l’ère des difficultés et qui, naturellement, incline à la modération et à la prudence. Pour ces calculateurs, les propositions de l’Autriche étaient plus qu’acceptables, elles étaient tentantes. « Prenons donc ce qu’on nous donne pour rien, pensaient-ils. Si ce parecchio, ce quelque chose qui paiera notre neutralité, n’est pas tout à fait ce que nous pouvons désirer de mieux, il aura du moins l’avantage de n’avoir coûté ni une goutte de sang italien, ni un sou de notre trésor… » Aussi M. Giolitti comptait-il, le jour où la discussion viendrait devant la Chambre,

  1. Parecchio est un terme qui s’emploie surtout dans le langage piémontais. On l’a traduit en français par « quelque chose. » Le vrai sens serait plutôt <> un certain nombre de choses, » et même, étant donné le caractère familier de l’expression : « pas mal de choses. »