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maternels et amis, il ne faut pas moins de virilité, et il convient de les exciter au courage, en leur montrant bien qu’on les croit courageux et pleins de force d’âme.

2° Dès que nous l’avons pu et que sa santé l’a permis, nous avons fait promener notre petit brigadier. Il faut prouver pratiquement à ces jeunes gens, hier indépendans et vigoureux, libres de leurs mouvemens, qu’ils ne sont pas, désormais, obligés de vivre sédentairement comme des vieillards : les conduire avec assurance pour qu’ils aient confiance, et les faire marcher d’un bon pas, pour les rendre le plus possible à la vie normale… L’exercice pour eux, quand il est possible, c’est peut-être la meilleure distraction, parce qu’elle détend à la fois le physique et le moral.

3° Leur faire la lecture… Chaque dimanche, les plus beaux articles de l’Écho de Paris, choisis parmi les plus élevés, les plus galvanisans, les plus nobles, étaient lus pendant des heures, dans la cour de l’hôpital, en variant, en soulignant sans en avoir l’air, ce qui était propre à grandir le blessé devant lui-même.

4° Quant à la manière de lui apprendre l’étendue de son malheur, cela dépend beaucoup de la nature du blessé, qu’il faut bien observer. P… savait qu’il était aveugle depuis le premier jour, et très vite, quand nous avons compris qu’il ne croyait pas à l’espoir qu’on lui donnait avec la phrase fatidique : « En attendant que vous y voyiez,… » nous avons apporté avec quelle hésitation, quel tremblement, la plaquette et l’alphabet ! Lorsqu’il a eu saisi le maniement du poinçon et le génie de la méthode, il nous a dit simplement : « Maintenant, je ne m’ennuierai plus. » Et, à force de lui parler des autres blessures, des amputés des deux bras par exemple, il s’est estime plus heureux qu’eux… Pour V…, on fit le contraire. Nul ne prit la responsabilité, autour de lui, de lui apprendre son malheur, et nous avons continué la même méthode pendant des mois. Le Braille a été présenté comme distraction passagère, mais, au bout des dix premières lettres, notre élève n’a pas voulu aller plus loin, sans découragement, mais parce qu’il jugeait l’étude inutilisable pour lui plus tard… Entre les trois ou quatre métiers qu’il compte faire, sans apprentissage régulier, quand il aura retrouvé l’indépendance qu’il prise plus que tout, il compte faire marcher un métier de tissage pour gaze de