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dont il a besoin, mais donnez-lui des indications qui lui permettent d’aller le chercher. Du même coup, il apprendra à s’orienter dans la pièce et assurera ses mouvemens. Toutes les formes d’activité manuelle qui font l’éducation du toucher en même temps qu’elles détournent l’attention de l’aveugle de ses pensées noires sont à rechercher. Il faut le convier à jouer aux dominos, aux cartes, aux dames, enhardir ses voisins de lit à faire des parties avec lui. On a judicieusement recommandé de l’inviter à rouler lui-même ses cigarettes, excellent exercice pour assouplir ses doigts. Très vite il doit s’habiller entièrement seul et vaquer sans aide à tous les soins qu’exige sa toilette, se promener sans guide dans sa maison et son jardin, et se rendre utile par mille petits services : couper le pain à table, scier du bois, mettre le vin en bouteilles, faire les lits, etc. Surtout, ne truquez pas la vie à son usage : ne mettez pas les objets sous sa main afin de lui donner l’illusion de les avoir trouvés. Non seulement vous l’empêchez ainsi d’échapper à cette dépendance qui, à tout prendre, est la grande détresse de l’aveugle, mais encore vous pensez bien qu’il aura tôt fait de démasquer votre jeu, et alors vous nourrirez en lui sa défiance de soi par cette confession de son impuissance qu’il pensera vous avoir arrachée, sa défiance aussi envers ceux qui l’entourent, si pénible pour quiconque est à la merci d’autrui ; vous lui infligerez surtout l’humiliation d’être traité en enfant ou en impotent. Au contraire, ingéniez-vous sans ostentation à l’occuper et à lui demander des services pour lui donner le sentiment qu’il est bon encore à quelque chose. Mais aucune pratique n’est efficace comme la rencontre d’un aveugle intelligent et adroit qui persuade, tout en parlant d’autre chose. Contre un préjugé qui a sa source dans la sensibilité, la logique des meilleurs argumens ne peut pas grand’chose ; c’est l’imagination du malade qu’il faut travailler, qu’il faut assiéger d’un jeu de représentations favorables. Même si le premier contact est pénible, les heureux résultats ne tarderont guère en général à se manifester.

Cette réadaptation à la vie courante prépare progressivement la rééducation professionnelle. Dès le début, nous l’avons entretenu des métiers, de l’activité des aveugles, afin de rendre moins atroce cette idée de la cécité qu’il faut acclimater peu à peu dans sa pensée. La causerie sur ce sujet, cependant, n’aura chance d’aboutir à des résultats pratiques que le jour où le