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aux momens où peu s’en faut qu’on ne croie tout perdu, à la fin d’août et au début de septembre, dire : « Nous les tenons ; c’est la victoire !… » Son article du 1er septembre est un acte de divination. L’armée allemande fonçait sur Paris ; elle bousculait tous les obstacles ; battue à Guise, elle passait pourtant et marchait à grandes journées : qu’est-ce qui l’arrêterait ? Seulement, avant de foncer sur Paris, elle n’avait pas détruit notre armée. On murmurait : « C’est 1870 qui recommence… » Pas du tout ! répliquait M. de Mun ; en 1870, quand les Prussiens se dirigèrent sur Paris, notre armée était mi-enfermée dans Metz, mi-écrasée à Sedan. « Inébranlable confiance, » écrivait-il le 31 août ; le 5 septembre : « Qui peut douter ? » et, tout de même, on pouvait douter, mais il ne le permettait pas ; et, le 8 septembre, quand l’ennemi s’éloigne de Paris : « J’en étais sûr ! »

Les argumens d’une telle foi sont nets et bien déduits, de qualité stratégique ; mais une telle foi est surtout un phénomène d’inspiration : la pensée fervente a des pressentimens, des visions que sa ferveur lui suggère. Ce n’est pas la sûreté de sa science militaire qui valut à M. de Mun ses fidèles et la joie de ne les avoir point abusés : le cœur de la France battait en lui. Battait à grands coups : il le dit et il le répète. Le cœur de la France qui était aux armées : « Ah ! comme je vis avec vous, comme je sens vos cœurs battre, mes camarades… On dirait qu’au fond de nos cœurs retentit le bruit lointain du canon !… » Et le cœur de la France qui, à l’arrière des armées, écoute, épilogue et souffre : « On a l’âme dans un étau, c’est bien sûr ; et les poignées de main qu’on échange en disent plus que toutes les paroles. Mais pas de vaines émotions ! surtout pas de vains discours. Je m’en veux presque d’écrire : en un tel moment où l’angoisse étrangle la gorge… » C’est au lendemain de Morhange et quand nos armées de Lorraine ont dû se replier sur Nancy. Dans la douleur commune, le langage se fait plus familier, plus bref. Il est plus familier, plus bref encore et comme entrecoupé d’émoi, quand nos armées sont à la poursuite de l’ennemi, après la Marne : « Comment dire ? quels mots trouver ? Ils sont en pleine retraite ; et sur la gauche, entre Reims et Soissons, cette retraite, c’est une déroute. Ecoutez : leur cavalerie semble épuisée… Ah ! il faut s’imaginer cela… Depuis six jours… » Sur la ligne de l’Aisne, les Allemands s’arrêtent et interrompent notre poursuite : « Maintenant, il faut souffler, comme nos troupes, et nous reprendre un peu… » Quelques jours passent. « De nouveau, c’est l’attente, longue et pesante… » Deux jours encore : « La bataille se poursuit ! En ces quatre mots tient, cette