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il ne serait pas déplacé dans la bouche d’un César moderne entrant à Ypres ou à Louvain ! Tout y est : la pitié hypocrite pour les maux qu’on a soi-même causés ; l’effort pour rejeter sur les victimes la responsabilité de leurs souffrances (c’était si simple ! elles n’avaient qu’à ne pas se défendre ! ) ; et, par-dessus tout, ce mélange de bonhomie affectée et de rudesse impérieuse. Ne nous y trompons pas en effet. Pour Mommsen, on peut être doux à la surface, on gagne même souvent à l’être, mais l’essentiel est d’être ferme, ferme jusqu’à la brutalité, jusqu’à la cruauté, si cela est nécessaire. On doit apporter à l’exercice de la domination le même esprit sereinement impitoyable qu’à sa conquête. Et ainsi, toute l’œuvre de Mommsen nous crie les deux préceptes où se résume la morale de sa race : « Soyez forts » et « soyez durs. »


V

Telles sont les « leçons » qui se dégagent de l’histoire romaine étudiée par le plus grand des érudits Allemands. Elles ne ressemblent guère à celles que puisaient dans la lecture de Tite-Live et de Salluste les écrivains de l’ancienne lignée française, les Bossuet et les Hollin, les Montesquieu et les Rousseau. Elles auraient fort scandalisé l’excellent M. Chotard du Livre de mon ami, et son naïf disciple qui versait, en contemplant les vertus latines, des « larmes délicieuses. » Sont-elles bien, ces rudes et âpres leçons, en parfait accord avec les faits réels ? Mommsen n’a-t-il pas simplifié à l’excès le développement du peuple romain en le réduisant à l’évolution du génie impérialiste tant au dedans qu’au dehors de la cité ? n’a-t-il pas, sinon embelli, du moins accentué sans mesure les traits caractéristiques de ses deux modèles, Rome et César ? On peut se le demander, mais, pour le moment, la question ne nous importe pas beaucoup. Ce que nous faisons ici, c’est une étude de morale politique, non une discussion d’histoire ancienne.

A supposer en effet que le tableau tracé par Mommsen de la grandeur romaine soit rigoureusement exact, on peut prendre, devant ce tableau, des attitudes très diverses. On peut, tout en reconnaissant l’énormité de la domination latine, en maudire la violence oppressive : tel notre cher et noble Sully