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Prud homme, méditant sur les ruines du Colisée, et refusant de s’incliner devant une grandeur qu’à tort ou, à raison il jugeait immorale :


Ces hommes étaient forts ! Que m’importe, après tout ?
Quand même ils auraient pu faire tenir debout
Un viaduc allant de Rome à Babylone,
A triple étage, orné d’une triple colonne…
Je ne salurais pas la force sans l’amour !


On peut aussi pardonner à Rome les abus qu’elle a commis, en songeant à l’ordre qu’elle a fait régner, à son profond sentiment juridique, à la majesté de la « paix romaine : » c’est l’idée éloquemment traduite, dans une très belle page de la Multiple Splendeur, par M. Emile Verhaeren, qui admire la force, certes, mais qui est trop de son pays pour vouloir lui immoler le respect de la justice et des lois. Au contraire, exalter l’impérialisme romain, non pas en dépit, mais à cause de sa dureté brutale, aimer la force, sans se soucier de l’usage bon ou mauvais qu’on en peut faire, pour la seule beauté de son déploiement intense, voilà ce à quoi répugnent les esprits de formation française, voilà ce à quoi Mommsen tend constamment, et voilà par où il rejoint les plus illustres représentans du moderne esprit germanique. Son œuvre est, dans l’ordre historique, l’équivalent de celle de Bismarck en diplomatie, de Moltke en stratégie, de Nietzsche en métaphysique. Elle fait partie intégrante de la moralité allemande dans la seconde moitié du XIXe siècle. Nous n’avons pas prétendu dire autre chose.

Nous en avions plusieurs motifs, et d’abord le désir de fournir une donnée de plus pour résoudre un des problèmes les plus discutés à l’heure où nous sommes. En présence de l’effrayant débordement de fanatisme barbare auquel nous assistons, bon nombre de nos contemporains se demandent avec angoisse si c’est bien le fond de l’âme germanique qui se révèle ainsi, ou si par hasard nous ne la voyons pas dans une crise passagère. À cette question, l’examen des théories mommséniennes nous aide à répondre, et par malheur dans le sens le plus pessimiste. Non, le mépris du droit, l’indifférence à la valeur morale des moyens, la passion de la force, ne sont pas des accidens momentanés dans l’Allemagne d’aujourd’hui, puisque déjà, il y a