Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 29.djvu/918

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

patriotique. » Il a pris pour épigraphe deux vers d’une chanson des étudians allemands :


Celui qui sait la vérité et ne la dit pas
Est vraiment un pitoyable drôle.


Il estime qu’en faisant connaître à ses concitoyens la vérité qu’il croit posséder, il leur rend le plus grand service qu’ « un Patriote allemand » puisse rendre à son pays. Il veut réveiller l’Allemagne égarée du sommeil trompeur où ses dirigeans la maintiennent à dessein ; il veut « provoquer un revirement salutaire. » Son livre, achevé au mois de février dernier, a été publié d’abord en allemand à Lausanne ; il a été récemment traduit en français. Je ne sache pas d’ouvrage dont la lecture soit aujourd’hui pour nous aussi involontairement réconfortante.

C’est que d’abord, quel qu’en soit l’auteur, ce livre est fort loin d’être du premier venu. Esprit très cultivé et très informé, de tendances libérales, et peut-être socialistes, aussi peu « Prussien » que possible, à ce qu’il semble, connaissant l’étranger, où il paraît avoir assez longtemps séjourné, presque aussi bien que son propre pays, de tournure peut-être plus positiviste qu’idéaliste, mais honnête, sincère, et se vantant justement d’ « appeler un chat un chat, » il sait rapprocher les faits, critiquer les textes, discuter les documens historiques ou diplomatiques ; sa dialectique est vigoureuse ; il a du bon sens, de l’esprit, de la verve ; il sait écrire enfin[1] ; en un mot, c’est un excellent avocat et un excellent publiciste. Quel dommage qu’il ne soit pas au Reichstag, et qu’il ne puisse donner la réplique à M. de Bethmann-Hollweg !

La thèse qu’il soutient est que la guerre actuelle est un « crime, » — crime contre l’humanité et crime contre la patrie allemande, — et que de ce crime effroyable l’Austro-Allemagne seule est responsable. Rien de plus contraire, comme on sait, à la thèse germanique officielle, d’après laquelle la guerre d’aujourd’hui aurait été « imposée » à l’innocente et pacifique Allemagne par la belliqueuse et jalouse Triple-Entente.

Que la France ne soit pas responsable de la guerre, c’est ce que l’auteur de J’accuse ! a d’autant moins de peine à établir que cette vérité, au fond, n’est guère contestée, même en

  1. Le livre J’accuse ! vient d’être inscrit au programme de l’agrégation des jeunes filles.