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II

Dans ces souvenirs, fixés sans ordre, sans méthode, à mesure que les évoquait sa mémoire, l’homme tout entier est en germe avec les qualités et les tares qui se développeront par la suite : « Il n’y a, — en effet, selon La Rochefoucauld, — guères de personnes qui, dans le premier penchant de l’âge, ne fassent connoistre par où leur corps et leur esprit doivent défaillir. »

Sur ce papier, Louis d’Orléans s’est, pour ainsi dire, disséqué tout vif ; son scalpel impitoyable ne nous a fait grâce de la plus petite manie infantile : c’est une fenêtre ouverte sur son âme, cette âme honnête et maladive qui, tel un pendule, entre la démence et la raison, oscilla toujours.

Inconsciemment, le pauvre Prince nous a livré la clef de son jardin secret, de ce jardin étrange où quelques fleurs rares s’étiolent, étouffées par toute une végétation parasite et folle.

Mieux que de longs mémoires, ses Souvenirs l’expliquent : c’était un enfant à développement cérébral et nerveux tardif ; il fut longtemps sans parler ; son imagination déréglée enfantait des chimères qu’il s’efforçait ensuite de faire passer pour des vérités.

Cette dissimulation précoce, ce soin constant de tromper sur l’état réel de sa santé, sont des signes nettement morbides : les enfans normaux de cet âge exagèrent, au contraire, le moindre malaise.

Mais aussi s’éveille en lui le goût des sciences qui le passionnèrent plus tard : il dévore un livre d’Histoire Naturelle, élève des chenilles.

Une sensibilité excessive provenant de sa faiblesse cérébrale se manifeste à l’occasion de ses lectures : la tragédie de Phèdre l’émeut au point de provoquer des crises de larmes. Enfin, le trait le plus caractéristique de son équilibre instable est cette hantise de suicide, ayant pour cause une déviation du sens chevaleresque. Cette hantise va même jusqu’à un commencement d’exécution, un jour qu’il répugnait à prendre un breuvage amer.

L’incohérence de la relation de cause à effet est le grand indice d’une défaillance momentanée de jugement ; cet état mental de l’enfant peut être considéré comme l’embryon des manies futures.