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Tel un invincible aimant, le cloître attirait cette âme, phalène imprudente et frêle qu’allait bientôt consumer, toute, l’ardente et mystique flamme de Sainte-Geneviève.

Il n’y fit, d’abord, que de courts séjours : en mai 1731, pendant les fêtes pascales, le Prince vécut de la vie des génovéfains, mangeant avec les moines, prenant aux offices, — remarque irrévencieusement Barbier, — « les mêmes attitudes et faisant les mêmes contorsions de corps que les religieux. »

« Lo public, dit-il, l’alloit voir dans le chœur comme une curiosité, ce qui étoit peu convenable pour un prince du sang. »

Il voulut aussi se dépouiller des honneurs et se démit de la grande charge de colonel général de l’Infanterie qui, en d’autres mains que les siennes, eût pu rendre si redoutable, au Roi, son titulaire.

Toute ambition, pourtant, n’était pas éteinte chez ce Prince. En 1737, il sembla se prêter aux vues d’une cabale qui cherchait à le porter aux affaires avec le cardinal de Fleury. L’intrigue avorta. Un peu plus tard, il essaya de nouveau et dit au Roi : « — Sire, je voudrais avoir quelquefois des conversations avec Votre Majesté ; j’aurais des choses sûres et secrètes à lui dire. » Cette ouverture n’ayant, pour toute réponse, recueilli qu’un sec et discourtois : « — Non, monsieur, » le Prince, outré, alla, sur-le-champ, confier sa peine à ses confesseurs, l’abbé de Sainte-Geneviève et le général des Oratoriens qui lui conseillèrent de ne plus reparaître à la Cour.

Il déclara alors à ses familiers qu’il ne pouvait plus vaquer à son devoir de prince du sang, « d’autant qu’au Conseil d’État on ne délibéroit que sur des choses décidées et qu’on n’y lisoit que la Gazette ; il étoit donc inutile d’y proposer de bons avis quand, d’avance, on savoit qu’ils ne seroient pas suivis. »

Puis il gênait parfois, faisait presque scandale ; un jour, posant sur la table du Conseil un morceau de pain de fougère, le Prince avait eu le courage de dire au Roi : « — Sire, voilà de quoi vos sujets se nourrissent ; » ce qui avait suscité une assez vive altercation entre lui et le cardinal de Fleury.

On était alors en 1742 ; Louis d’Orléans, près de la quarantaine, vivait encore dans le monde, mais étranger à tout ce qui s’y faisait et s’y disait. Confiné dans son cabinet parsemé de carreaux de duvet sur lesquels il s’agenouillait, vêtu de sa grande robe de chambre rouge, brochée d’argent, chaque fois que le