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se moque-t-il ? L’histoire gravite-t-elle autour du germanisme ? Faisons donc le bilan du capital européen et voyons quelle est sa part.

La régénération du monde antique ? Il y a beau temps que Fustel a fait justice de ces sophismes. Ils ne trouvent plus crédit qu’en Allemagne ; mais le pays de la « culture » ignore les livres qui lui déplaisent comme les vérités qui l’humilient. Dans cette genèse des sociétés modernes, la Germanie n’a apporté ni les vertus d’une race nouvelle, ni les bienfaits d’un idéal supérieur. Elle fut l’anarchie et la violence, la corruption et le chaos. Ces hordes de brutes n’enseignèrent que leur barbarie au monde, et le monde, qui les subit, les civilisa. Une fois civilisée, entrée dans la société chrétienne, placée pendant trois siècles à sa tête, quels intérêts l’Allemagne a-t-elle le mieux servis ? Les siens ou ceux de l’Europe ? Entre ses mains, l’Empire a cessé d’être la magistrature universelle de la justice et de l’ordre, telle que la rêvaient les papes, que notre Charlemagne l’eût voulue. Ces princes, saxons ou souabes, ne songent qu’à conquérir l’Italie, qu’à asservir l’Eglise, et il faut lire dans les chroniques du temps ce que furent ces expéditions signalées par le pillage, la destruction et le massacre. Ce n’est pas la Germanie qui a révélé la liberté aux hommes. L’une, celle de l’âme, est le don inestimable du christianisme ; l’autre, celle des institutions, fut l’apport de la féodalité et de la chevalerie. Mais féodalité et chevalerie ne sont pas un fait propre à l’Allemagne ; c’est en France, au contraire, que ce régime social s’est le mieux organisé, comme un élément d’ordre, de stabilité, de protection. L’Allemagne n’a pas eu l’initiative des Croisades : cette grande pensée nous appartient. Celles qu’elle a faites sur ses frontières ont été moins inspirées par l’apostolat religieux que par le dessein de s’agrandir ; et, à la fin du Moyen Age, quels peuples, sinon la Hongrie, la Serbie, la Pologne, ont été, contre le Turc, les sauveurs de l’Europe ? La civilisation moderne a dû au Portugal, à l’Espagne, à l’Angleterre, comme à la France, les grandes découvertes maritimes. Où étaient alors les marins et les marchands allemands ? Et, hier encore dans ce XIXe siècle, dont l’épanouissement scientifique est l’impérissable gloire, les pays qui ont le plus contribué aux découvertes, aux inventions, au progrès, ne sont-ils pas ceux de Darwin et de Priestley, de Cuvier, d’Ampère, de Claude Bernard