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et de Pasteur ? Il est vrai, l’Allemagne a fait une des grandes révolutions religieuses de l’histoire… Qu’elle compare cependant Luther à saint François ! Le cerveau puissant, mais néfaste, qui a brisé l’unité chrétienne et déchaîné sur l’Europe la plus épouvantable des guerres civiles, aura-t-il jamais la pure auréole du plus grand des serviteurs de Jésus, du prédicateur de la fraternité et de l’amour ?

Nous ne voulons pas être injustes envers l’Allemagne. Nous ne nions pas son génie original et vigoureux. Nous savons qu’elle a découvert l’imprimerie, que Leibniz et Kant, Goethe, Beethoven et Wagner lui appartiennent. La science moderne lui doit quelques-unes de ses théories les plus fécondes, de ses applications les plus utiles. Mais ces services rendus à la civilisation générale ne font pas oublier de qui elle l’a reçue et ce qu’elle en a reçu. Schelling pouvait souhaiter que son pays éliminât « tout alliage altérant le pur métal de son esprit. » Un tel isolement est-il possible ? Les peuples ne grandissent, comme les individus, que par ces emprunts et ces échanges : tout progrès est à ce prix. Et que cet isolement ait été réel, l’histoire ne le démontre pas. Hegel a eu raison de dire, au contraire : « Les Germains ont subi l’impulsion d’une culture étrangère. » Il n’est pas de peuple plus que le peuple allemand qui ait été redevable à ses voisins.

Il a appris des Gaulois l’usage de l’épée de fer. Rome lui a montré l’art de vivre dans les villes. Le christianisme lui est venu du dehors, des missionnaires d’Italie ou des moines anglo-saxons. L’Allemagne n’a pas eu d’apôtre national ; et il a fallu l’épée de l’étranger pour en faire un peuple. Est-ce tout encore ? A chaque époque de son histoire nous retrouvons ces influences. Au XIe siècle, c’est Cluny, qui réforme son clergé et ses mœurs. Au XIIe siècle, nos maîtres lui enseigneront les méthodes de penser comme nos artistes celles de bâtir. Cologne est la fille authentique d’Amiens, et la France, qui a révélé l’ogive à l’Allemagne, lui donnera encore les modèles de sa poésie épique. Au XVe siècle, c’est aux lueurs de l’Italie, des Pays-Bas bourguignons que s’allument les clartés de sa Renaissance. Au XVIIe siècle, elle se met de nouveau à notre école, copie notre art, notre littérature, notre philosophie. Il ne serait pas difficile de retrouver l’influence de Rousseau dans le moralisme de Kant ! Et aujourd’hui même, dans le développement