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VERS LA GLOIRE.


fique, non point suranné comme il l’avait craint un instant, mais qui allait au contraire lui permettre de pousser plus loin ses recherches.

En ce moment, il se sentait presque heureux ; c’était la première fois depuis la mort de son père que ce sentiment d’allégresse et de légèreté intérieure le soulevait et le faisait rebondir au-dessus de ses propres inquiétudes. Le charme de ce merveilleux après-midi d’automne n’était peut-être pas étranger à cette disposition favorable ; puis il y avait aussi l’arrivée de ces caisses remplies de livres et d’objets familiers qui allaient être pour lui une compagnie précieuse. Les caisses ouvertes, il en enlevait peu à peu le contenu ; les livres, il les disposait partout dans son cabinet de travail, sur la tablette de marbre de la cheminée, sur les étagères d’acajou dont il avait enlevé d’inutiles et poussiéreux papiers, et sur sa table, à portée même de sa main; là, il plaçait les auteurs qu’il aimait le plus, les grands maîtres de la doctrine, Bichat, Trousseau, qui l’avaient initié aux premières notions de la vérité positive; et aussi quelques poètes qui, dès sa sortie du collège, avaient prêté des ailes à ses sensations confuses. Sans être poète lui-même comme Gabriel d’Artissac, il éprouvait puissamment l’ivresse lyrique, et cette sorte d’exaltation physique que procure le rythme des belles stances inspirées. Tout à l’heure, dans l’ancien Jardin Royal rempli de parfums et de philtres, n’avait-il pas cru un instant porter dans sa poitrine la lyre d’Orphée ? Et maintenant encore, il lui semblait entendre en lui de mystérieuses résonances; il avait envie de chanter, il était ébloui, transporté, parce qu’il venait de retrouver, pauvrement relié et usé aux pages préférées, ce volume de Musset où il relisait ces vers :

Ce matin quand le jour a frappé ta paupière, Quel chérubin pensif, penché sur ton chevet, Secouait des lilas dans sa robe légère

Et te contait tout bas les amours qu’il rêvait? Pourtant il y avait des jours où il se sentait presque vieux. Il ne croyait plus aux sortilèges de l’amour; mais il admirait quand même ces vers, qui le faisaient frémir aussi voluptueusement que la première fois qu’il les avait lus ; et il se les répétait tout bas; il y voyait une Annonciation mystique, le salut de cet ange, chargé des prémices du printemps, à sa jeu-