Page:Revue des Deux Mondes - 1915 - tome 30.djvu/580

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

toute la ligne inférieure et moyenne de l’Yser, « sauf en un endroit de la rive gauche, dit le Communiqué du 13 novembre, où il occupe de 2 à 300 mètres[1], » l’ennemi entend tout au moins prendre sa revanche devant Dixmude ; chaque nuit, sous le couvert de mitrailleuses montées sur radeaux, ses sapeurs et ses pontonniers travaillent d’arrache-pied à lui frayer un passage, et, chaque matin, nos 75 démolissent l’ouvrage de la nuit. Mais il s’entête, et il est rusé. Pour en finir avec ce petit jeu, il faudrait compléter l’isolement de la ville, provoquer une nouvelle inondation sur la rive droite de l’Yser et du canal de Handzaëme, dans la région Beerst-Bloot, qui correspond à l’ancien secteur Nord de la défense. Des négociations sont ouvertes à cet effet, le 12, avec le grand quartier général belge. C’était le capitaine de frégate Geynet qui commandait vers Beerst-Bloot. Son bataillon était réduit à 468 hommes ; mais chacun de ces hommes était comme doublé par la pensée d’un frère, d’un ami à venger. Puis, à mesure que le temps passait, l’ardeur ennemie se refroidissait sensiblement. Les alertes nocturnes étaient encore fréquentes, mais ce n’étaient plus les attaques en force, et l’on se tenait les uns et les autres sur ses positions. De temps à autre, une balle claquait. Un cri d’angoisse, le bruit sourd de l’eau qui s’ouvre et se referme : quelque ennemi qui tombait dans l’Yser, « touché par une bonne balle française… »

La guerre, de ce côté, tournait à la petite guerre d’embuscade, au « grignotage, » suivant le mot du généralissime. Dans les formations assez mêlées que nous avions devant nous, se trouvaient, paraît-il, des « étudians de Heidelberg. » Ils « faisaient des paris. » Un de ces prétentieux jouvenceaux passait la rivière « à la nage, » pour essayer de voler un fusil ; le factionnaire, qui ne dormait que d’un œil, affectait de « tenir bas son arme, » et, quand l’étudiant croyait la saisir, l’homme

  1. Il s’agit de la boucle de Tervaete, le seul « point faible de la ligne de défense » (l’Action de l’armée belge), dont la concavité est tournée vers l’Ouest et où l’ennemi avait pris pied dès le 22 octobre, poussant ses tranchées jusqu’au Vliet. Il lui en avait fallu déguerpir devant l’inondation. Près de la ferme de Stuyvekenskerke et du château de Vicogne, une batterie allemande de quatre pièces était submergée : « ferme et château ont été trouvés évacués et remplis de cadavres allemands, » dit le communiqué belge. Devant Ramscapelle, on retirait de l’eau deux mortiers de 165 abandonnés par l’ennemi ; çà et là, le long de l’Yser, d’après la même source d’informations, des contingens allemands, occupant des positions avancées, étaient coupés de leurs lignes de repli et devaient se rendre ou se résigner à l’enlisement.