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minets d’Hoogstaede et de Gyverinchove ne sont pas encore complètement « à sec. » Entre temps, on arrête quelques espions qui rôdent autour de nos lignes : deux le 18 novembre, deux autres, habillés en soldats belges, le 19. Le froid semble maintenant se fixer. Il gèle chaque nuit. La campagne est toute blanche : « c’est une harmonie nouvelle dans un cadre ancien, » écrit joliment l’enseigne Humbert. La grande plaine flamande, avec son moutonnement de petites fermes basses, de bourgades en rond sous la houlette de leurs clochers obliques, continue de s’étendre à l’infini ; la neige égalise peu à peu le paysage bouleversé ; elle panse de sa ouate les plaies de la glèbe, comble les entonnoirs des « marmites, » nivelle les longues routes droites où ne cessent de défiler les convois et les caissons d’artillerie. Des coloniaux passent, venant de Dixmude et faisant un crochet pour tourner vers Ypres. La canonnade, dans le lointain, n’arrête pas ; des taubes sillonnent le ciel. Inévitablement, après leur visite, les gros obus vont pleuvoir : nous sommes ici les uns sur les autres et ces grouillemens de troupes sont une cible trop tentante pour l’ennemi.

Quant à espérer de reformer la brigade en pareil lieu, c’est impossible. L’amiral s’est plaint au quartier général : il insiste pour qu’on lui assigne un autre cantonnement, plus loin du front, moins encombré surtout, où les régimens puissent poursuivre la remise en état de leurs unités. Mais toutes les villes belges de l’arrière sont aussi encombrées. Il faut pourtant « se déhaler » de là coûte que coûte, fût-ce au prix d’une marche forcée, et gagner la frontière française. Enfin on apprend que l’amiral brusque les choses et qu’on va partir pour Dunkerque. Mais les ordres ont-ils été mal donnés ou mal interprétés ? Toujours est-il que ce départ à six heures du matin, en pleine nuit noire et « en pagaille, » le 22 novembre, ne ressemblé guère à notre retraite méthodique de Gand : les troupes sont coupées à chaque instant par des convois ; des voitures s’embourbent ; « Jean Gouin, » attelé à ses mitrailleuses, « souque dur[1]. » Mais on a trop compté sur ses forces en lui imposant une traite de 35 kilomètres à exécuter en une seule journée, avec une simple halte de trois quarts d’heure pour déjeuner et une autre petite halte d’un quart d’heure après Bergues. Et les médecins

  1. Carnet du Dr L. G…