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Nous ne ferons même point attention, cela va sans dire, aux plaisanteries des hommes d’esprit, jeunes ou vieux. Mieux vaut essayer de saisir ce que l’attitude du criminaliste eut d’original et de parfaitement logique. Deux faits incontestables et bien connus nous aideront à grouper dans leur contraste, sans divergence ni contradiction, ses vues et ses efforts.

Dans le crime et le délit, la masse du public voit par-dessus tout ce qui la menace, ce qui est de nature à lui faire craindre pour sa vie, pour ses propriétés, pour sa tranquillité, pour sa réputation, pour son honneur : elle demande qu’on réprime tout cela le plus tôt possible et de manière à bien mettre le coupable hors d’état de faire de nouvelles victimes. Quant aux actes et aux manifestations qui donnent le goût du plaisir, qui le stimulent et le diversifient jusqu’à lui faire contracter peu à peu l’habitude, non seulement de l’excessif, mais de l’exceptionnel et de l’anormal, du dédain des lois communes a une nature saine, à une société saine, le même public le prend plutôt gaiement : il passe volontiers condamnation sur tout ce que sa curiosité satisfaite lui a fait trouver d’excitant. Pour s’excuser, on allègue les entraînemens de la jeunesse, l’ardeur des tempéramens et les longues traditions de l’esprit gaulois ! Il est certain que nos pères étaient, comme on dit, fort gaillards ; mais au moins l’étaient-ils en hommes que n’effrayaient pas les nombreux enfans. Du jour où l’on a donné au plaisir égoïste, se prenant lui-même pour fin, le rôle dont on dépouillait le devoir familial, c’était le désordre, lequel n’est fécond qu’en désordres nouveaux et indéfinis. Ceci, la génération qui s’achève l’a fâcheusement méconnu, même parmi les représentai de la justice, depuis les membres des jurys toujours démens pour l’avortement et l’infanticide, jusqu’à ces magistrats qui, ayant à juger un pornographe, pris pour la première fois, mais convaincu d’une ancienne et plantureuse habitude du délit, trouvèrent spirituel de lui accorder le bénéfice de la loi Bérenger.

À cette double disposition d’esprit, ledit M. Bérenger en opposa une à peu près inverse. Du moins, si l’on reprend toute la suite de sa carrière, voit-on que, dans la première partie, il a consacré ses efforts à adoucir la répression des malfaiteurs ordinairement les plus sévèrement frappés ; dans la seconde, il a paru réserver toute son activité, tout son zèle, toute sa