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convictions dont on ne lui donnait pas l’exemple ? Et cependant, au contraire de ce que disent certains historiens, Mirabeau n’était pas athée. De son contact avec les premiers précepteurs de sa jeunesse, avec le P. Jaubert, avec l’abbé Choquart, il lui était resté quelque sympathie pour la religion catholique et ses ministres. Dans les Mémoires du Ministère du duc d’Aiguillon attribués en totalité à Soulavie, et dont les livres VIII, IX, X, XI, sont bien l’œuvre de Mirabeau, je découvre au sujet du soulagement des pauvres ces lignes intéressantes : « Les commissaires de quartiers ignorent ou oublient ses malheureux qui les entourent… Ce sont les bons curés qui l’occupent de trouver, de consoler ces infortunés, condamnés à traîner des jours difficiles dans les privations et la douleur. J’ai vu le curé de Saint-Eustache et plusieurs autres monter à des cinquièmes, au milieu des frimas, consoler et arroser de larmes ces infortunés et soulager leurs besoins. C’est à ces dignes dépositaires qu’il faut confier les aumônes si faussement et si mal distribuées ; les secours arriveraient à la source des besoins et les pauvres seraient cent fois plus touchés de recevoir de leur pasteur, que par des cascades ministérielles[1]… Il serait nécessaire aussi de mettre tous les curés du royaume en état d’avoir du pain, car ils n’assisteront pas les pauvres, s’ils le sont eux-mêmes. »

Un des écrivains qui ont le mieux étudié Mirabeau, M. Francis Décrue, croit pouvoir affirmer que sa conduite à l’Assemblée nationale en matière ecclésiastique s’explique par son irréligion même[2]

Cette assertion est peut-être un peu outrée. Je ne nie pas que Mirabeau n’ait porté des coups terribles au clergé et par-là même à l’Eglise, mais était-ce par des sentimens impies ? Je ne le crois pas. Sans doute, il a provoqué la confiscation des biens ecclésiastiques et le serment constitutionnel qui ont eu les suites les plus pernicieuses ; il a déclaré qu’il préférait aux lois et aux préceptes religieux la loi naturelle ou l’instruction pure et simple qui apprend aux hommes à être justes. Il a admiré les stoïciens et manifesté même une sorte de fatalisme. Mais le

  1. Aussi, avait-il autorisé le curé d’Argenteuil à lui demander, dans sa propriété du Mavais, du pain, de la viande, des vêtemens et du linge pour les malades et les nécessiteux.
  2. Revue historique, t. XIII (1883).