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Aussi, n’est-il point étonnant que Mirabeau, éloigné de ces esprits médiocres qui croyaient avoir délivré le peuple d’une basse superstition en lui fermant le Ciel, en écartant de lui un avenir sur et réparateur, ait saisi l’occasion qui s’offrait à lui pour manifester des convictions en une autre vie et en des consolations futures. Il n’était pas de ces pauvres politiques dont Joseph de Maistre disait avec tant de justesse : « Ils se vengent de leur bassesse envers le pouvoir par leur insolence envers Dieu ! »


Le manuscrit que Mirabeau remit au jeune pasteur, exilé de Genève, prouvait qu’il avait bien étudié les textes sacrés qui étaient de nature à consolider sa thèse. C’est à saint Paul qu’il emprunte le texte qui servira de base au sermon sur la Nécessité d’une autre vie et des consolations de l’Homme juste sur la terre.

Ce texte est le suivant : Si in hac vita tantnm sprrantes sumus, miserabiliores sumus omnibus hominihus (2e épitre aux Corinthiens, en. XV, verset 19).


« Saint Paul, dit Mirabeau (et ici commence le sermon), qui serait illustre et par la vigueur de son âme et l’étendue de son génie, quand il n’aurait pas été un grand apôtre, adressait aux chrétiens persécutés ces paroles profondément vraies et touchantes, qui sont encore la consolation la plus réelle de la vertu malheureuse, opprimée, méconnue : « Si nous n’avions d’espérance que dans cette vie, nous serions les plus misérables de tous les hommes… » Sans doute, ces paroles augustes sont dignes d’être proférées dans le temple de l’Eternel où l’on ne saurait trop dire et redire aux hommes tous égaux devant la Majesté suprême, et surtout aux infortunés qui, dans les transports du désespoir, seraient tentés d’interroger sa puissance paternelle, que si la justice dort sur la terre, le Juge éternel veille toujours.

Oui, le culte de l’Etre suprême est le premier devoir des humains, parce qu’il est la base de toutes les vérités, le principe de toutes les vertus, la source de toutes les consolations. Invoquez l’athéisme, ô riches, ô grands de la terre, qui voulez jouir sans inquiétude et opprimer sans remords, invoquez l’athéisme !… C’est le digne système des tyrans qui, après avoir tourmenté leur vie dans la recherche de plaisirs aussi vains que coupables, rassasiés de crimes, fatigués de remords, appellent le néant au bout de leur carrière.