Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/172

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Or, dès qu’il fut jugé digne d’être initié, Spinoza fut aussi un adepte de la Cabbale, et il est inadmissible qu’il n’ait pas rencontré Rembrandt dans cet étroit cénacle, si fermé, qui organisait, peut-être chez Ménassé-ben-Israël, ou chez Ephraïm Bonus, ses séances mystérieuses.

Tout est si merveilleux dans cette doctrine séduisante, qu’il était bien difficile à un jeune lévite de ne pas s’y intéresser. Elle avait été révélée par Raziel, l’ange des mystères, à Adam lorsqu’il quitta le Paradis, puis elle fut confirmée à Moïse, lorsqu’il reçut la Loi sur le Sinaï. Elle promettait d’obtenir par incantation, ou par des procédés sublimatoires, des effets surnaturels et des « Kaméoth, » sortes d’amulettes souveraines qui préservaient de tout malheur. Elle indiquait encore à ses initiés la méthode à suivre pour renouer commerce avec ces « Créatures, » invisibles au vulgaire depuis le péché d’Adam, et qui, sous le nom d’ « Ondines, » de « Sylphes » et de « Salamandres, » habitent les élémens, qu’ils dirigent à leur gré. La Rôtisserie de la reine Pédauque a montré tout le parti qu’un illustre écrivain a su tirer de ces rêveries panthéistes.

Mais il y a une autre conception et une autre doctrine cabbalistique qui consiste à lire la Bible et le Talmud, non pas seulement dans le sens vulgaire et littéral de leurs textes, mais à l’aide des trois opérations de « permutation » du « signe » et de « géométrie, » qui lui rendent ce sens ésotérique que les initiés peuvent être seuls à connaître. La première opération consiste à intervertir la dernière et la première lettre de chaque mot ; ensuite chaque lettre est considérée séparément comme un signe ; enfin on cherche le sens du mot en substituant aux lettres les nombres qu’elles représentent dans la numération hébraïque.

On conçoit qu’un pareil système permet bien des explications contradictoires, et qu’un esprit lucide, comme celui du jeune Spinoza, ait bien vite jugé l’enfantin merveilleux de cette doctrine d’empiriste. Il la rejeta donc avec ce dédain qu’il devait afficher bientôt pour le Talmud lui-même, que la doctrine spiritualiste de la Cabbale, telle que l’enseignait Menasse, posait à la base même de son système de révélation ésotérique.

C’était cette doctrine qui permettait à Menasse de prédire, à