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semblait que l’Allemagne dût pacifiquement se faire sans peine dans le monde une place à côté des grandes nations colonisatrices d’hier et d’aujourd’hui.

Mais c’est là précisément qu’apparaissent dans la politique allemande les conséquences de cette divergence constatée plus haut entre l’essor démographique et l’essor économique de la nation. Les acquisitions coloniales de Bismarck coïncidaient bien avec cette période où la natalité allemande pouvait permettre à l’Empire de déverser sur des terres nouvelles des flots innombrables d’émigrans ; mais ni le monde politique, ni le monde des affaires n’avait alors en Allemagne soit les ressources, soit l’expérience nécessaires pour utiliser convenablement ces énergies disponibles dans des colonies qu’il eût d’abord fallu savoir outiller complètement.

Faute de cet outillage préalable en hommes et en matériel, toute colonisation y était pour longtemps impossible et, pour aborder la rude tâche de cet outillage, ce n’était pas seulement les hommes d’expérience coloniale qui manquaient à l’Allemagne, mais encore et surtout peut-être des capitaux suffisamment puissans et désintéressés pour pouvoir attendre longuement leur rémunération.

Les finances privées de l’Allemagne bismarckienne étaient loin d’avoir créé les réserves que lui ont constituées naguère quarante années d’activité prodigieuse et de crédits illimités et, quant aux finances publiques, le Reichstag devait se refuser longtemps encore à leur demander l’effort nécessaire pour faire, des colonies d’empire, non pas un coûteux lieu d’exil pour les fonctionnaires, mais un véritable placement d’avenir. Sans doute, lorsque, au XVIIe siècle, des travailleurs français allaient chercher fortune aux Iles, ils n’y étaient précédés d’aucuns travaux publics, ni entourés d’aucune précaution d’hygiène ni de ravitaillement, et pourtant, malgré une forte mortalité causée par le rude défrichement de la terre dans un climat équatorial, ces pauvres colons abandonnés n’en ont pas moins constitué des sociétés bien vivantes, qui n’ont été gâtées qu’au bout d’un demi-siècle et plus par l’exagération du système de l’esclavage nègre. Mais il ne semble pas, malgré leur esprit d’entreprise, que les Allemands du temps de Bismarck se soient senti l’énergie morale et la résistance physique de nos « engagés » et de nos « boucaniers » du temps de Richelieu ;