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1912 que la France avait pris l’initiative de cette conversation, et elle y mit quelque insistance, car, la Chancellerie impériale, assez nerveuse du mauvais accueil fait par l’opinion allemande à l’accord colonial franco-allemand de 1911, inquiète, d’autre part, des événemens balkaniques, semblait redouter, à l’intérieur plus encore qu’au dehors, une nouvelle perte de prestige. Mais la France avait précisément le plus grand intérêt à calmer, par des concessions adroites, et l’opinion publique allemande, et la méfiance des dirigeans ; d’où vint que l’année 1913 tout entière se passa en pourparlers de plus en plus précis, au courant desquels furent mises peu à peu l’Angleterre, l’Italie et la Russie. Et c’est seulement le 15 février 1914, que fut signé à Berlin l’accord définissant les zones d’influence économique que les Puissances intéressées s’interdisaient respectivement de se disputer dans les domaines asiatiques de l’Empire ottoman. De ce côté, il était donc vrai de dire encore qu’à la veille de la guerre, l’entente des grandes Puissances européennes était parfaite, pour assurer pacifiquement à l’Allemagne le plus bel essor que pussent rêver raisonnablement ses « coloniaux » les plus avides.

Par quelle singulière aberration le gouvernement allemand crut-il devoir compromettre, dans la plus formidable et par conséquent la plus hasardeuse des guerres, les résultats tangibles qui lui étaient désormais acquis ? Pourquoi, au lieu de laisser l’opinion publique s’égarer à la suite des folles déclamations pangermanistes, ne crut-il pas devoir l’instruire au contraire largement des fruits sûrement récoltés par sa politique et se faire une gloire d’avantages dont il avait lieu d’être fier ? Il y a là une de ces énigmes historiques que la sagesse antique a tranchées par la maxime célèbre : Quos vult perdere Jupiter dementat ! L’auteur anonyme du célèbre livre J’accuse ! bien qu’incomplètement informé des larges concessions faites aux ambitions coloniales allemandes dans le Levant par le consentement des grandes Puissances, adresse à ce sujet aux maîtres des destinées de l’Empire des critiques si fortes et si serrées qu’aucune plume française n’en saurait trouver de plus terribles. Il semble difficile en effet de ne pas voir, dans ce qu’il appelle « la préparation du crime, » un réel guet-apens tendu à la paix européenne, au profit, non du peuple allemand, mais d’une sorte de coterie de fonctionnaires, de hobereaux et