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seulement d’une connaissance exacte de notre histoire, de nos aspirations, de l’état actuel de l’opinion espagnole, mais ils ont montré qu’ils avaient une notion très juste et même très fine de notre caractère. Ils ont su piquer au bon endroit toutes nos vanités, exploiter toutes nos faiblesses. C’est ce qu’on appelle couramment de la psychologie. Pour vous, la psychologie, c’est la lutte du devoir et de la passion, selon la formule de votre théâtre classique, c’est l’analyse des délicatesses du cœur, des subtilités du sentiment. Vous ne sortez pas de ce canton très restreint de la psychologie générale. Vous vous flattez de connaître l’homme, mais in abstracto, indépendamment des circonstances de temps et de milieu. De même que la géographie physique, vous ignorez la géographie morale de l’humanité. Rien ne le démontre mieux que les « surprises » récentes de vos diplomates, les étonnemens naïfs de votre presse, lorsque vous vous vîtes bernés par l’astuce balkanique. Les Allemands ont prouvé qu’ils connaissaient mieux que vous l’âme levantine… Et voilà ce qui nous flatte par ricochet, nous autres Espagnols : ce qu’ils ont fait pour d’autres, ils l’ont fait pour nous. Ils ont pris la peine de nous étudier et de nous connaître, ils se sont occupés de nous.

« Par ailleurs, les vertus viriles et très modernes qu’ils nous prêchent sont en complète opposition avec la sentimentalité et ce que certains de nos compatriotes appellent, — laissez-moi vous le dire, — l’effémination française[1]. Pour ma part, je le regrette. Mais c’est ainsi : il est certain que la force nous plaît plus que la grâce. Vous, au contraire, vous semblez avoir horreur de la force, comme vous avez horreur de l’étranger, horreur de l’avenir. Vous vous repliez sur vous-mêmes, vous vous immobilisez dans la contemplation de votre passé. Jusqu’à la veille de la guerre, vos nationalistes les plus fervens n’ont fait qu’exalter vos vieilles mœurs, vos vieux logis, vos vieilles provinces. Au lieu de se renseigner exactement sur la force allemande, ils n’ont vu que les ridicules de l’ennemi. Ils ont

  1. Bien entendu, il n’entrait nullement dans la pensée de mon interlocuteur de contester l’héroïsme de nos soldats ou la barbarie germanique. Par ce mot d’effémination, il désignait seulement une certaine sensiblerie humanitaire, dont nous sommes les premiers à dénoncer les effets amollissans. C’est, en Espagne, un grief courant contre nous. Je le retrouve dans une lettre d’un Espagnol, publiée par M. Louis Arnould, dans sa brochure, Le duel franco-allemand en Espagne. p. 24 : « A bas l’effémination et l’athéisme français ! »