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daubé sur la manie du « kolossal, » sur la grossièreté, la vulgarité allemandes, et ils ont célébré en revanche des qualités archaïques, des sentimens de luxe, qui ne trouvent plus que rarement leur emploi dans le monde moderne, et qui, en tout cas, ont besoin d’être complétés par des vertus plus rudes et plus neuves. Vous avez cru être plus Français, en dédaignant d’acquérir les qualités du voisin, qui, d’ailleurs, furent autrefois les vôtres. C’est une mauvaise méthode. Nietzsche le disait excellemment à ses compatriotes : « La meilleure façon d’être un bon Allemand, c’est d’acquérir toutes les qualités qui manquent à l’Allemand. » Ailleurs : « O mes frères, ce n’est pas en arrière que votre noblesse doit regarder, mais au dehors. Vous devez être des expulsés de toutes les patries et de tous les pays de vos ancêtres. Vous devez aimer le pays de vos enfans : que cet amour soit votre nouvelle noblesse. Le pays inexploré dans les mers lointaines, c’est lui que je dis à vos voiles de chercher et de chercher encore !…. »

Ainsi parlait Zarathoustra. Ainsi parlait mon ami, l’illustre écrivain espagnol. Je me borne, pour l’édification du lecteur français, à résumer aussi fidèlement que je puis, les idées essentielles de nos conversations. Mais je serais un sténographe infidèle, si je n’ajoutais que, toujours, il terminait ces considérations et ces critiques générales par une charge à fond contre ses propres compatriotes. Comme s’il voulait se faire pardonner ses censures de nos défauts, il jugeait son pays avec une sévérité impitoyable. Il me disait encore :

— Cette admiration raisonnée de l’Allemagne n’est le fait que d’un très petit nombre. La plupart de nos germanophiles ne dépassent pas la façade du germanisme. C’est, chez eux, un engouement où il entre beaucoup de snobisme, d’ignorance et de légèreté… Oui, ils s’extasient devant la raideur d’un officier prussien. Un casque à pointe, un régiment au pas de parade les jettent dans des extases. Mais cette discipline, qu’ils célèbrent avec tant d’enthousiasme, il ferait beau voir qu’on essayât de la leur appliquer. L’effort persévérant que réclamerait d’eux une véritable organisation à l’allemande, ils en sont parfaitement incapables. D’ailleurs, que voulez-vous faire avec l’inertie de nos masses, la corruption de notre parlementarisme ? C’est à désespérer !….

Non pas une fois, mais cent fois, j’ai entendu ces propos,