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ou que produit de la culture nationale ! La grande erreur et la grande faute de la République, ç’a été de vivre en vase clos, de s’imaginer qu’elle pouvait tout se permettre dans les limites de nos frontières, et, comme on dit, laver son linge sale en famille. Elle ne s’est pas doutée que tous les coups dirigés par elle contre les catholiques ou les classes dirigeantes avaient immédiatement leur répercussion à l’étranger. Nous nous sommes comportés comme si nous étions les seuls habitans de la planète, les propriétaires de la maison, alors que nous avons, sur notre palier même, des voisins nombreux et peu bienveillans. Nous ne nous sommes pas demandé si le vacarme de nos querelles de ménage, ou les mauvaises odeurs de nos lessives ne risqueraient point d’incommoder ces voisins et de les ameuter contre nous.

C’est ce qui nous est arrivé avec l’Espagne. D’abord, nous l’avons profondément blessée dans ses convictions : la solidarité catholique n’y est pas un vain mot. Elle a pu considérer nos persécutions comme une injure personnelle. Elle nous en a voulu de donner le mauvais exemple à ses partis avancés, qui, pour être une minorité, n’en sont pas moins turbulens. Enfin, parce qu’elle est notre très proche voisine et que l’exode de nos congrégations s’est surtout dirigé de son côté, elle a subi plus désagréablement que d’autres le contre-coup de nos querelles religieuses. Elle a pu mieux juger que d’autres, — mieux même que nous, catholiques de France, — de l’importance et de la signification de cet exode. Nos réfugiés sont partout sur son territoire, principalement dans les provinces du Nord, le long de la frontière basque et navarraise. Là, pas une ville de quelque importance qui ne possède un ou plusieurs couvens de ces réfugiés français. Lors de leur arrivée dans le pays, des scènes pénibles se sont produites. Un avocat de Saint-Sébastien me disait avec indignation :

— Monsieur, nous avons vu vos sœurs mendier dans nos rues. L’injure que vous leur avez faite, à ces femmes, nous la prenons pour nous : ce sont de ces choses qui ne s’oublient pas !….

La présente permanente de ces exilés ravive sans cesse le ressentiment des catholiques espagnols. Nous Français, nous envisageons en historiens ces événemens déjà lointains. La réalité de l’injustice commise ne frappe plus nos yeux. En