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Dans sa péroraison, l’orateur montrait saint Jacques de Compostelle dressé sur son cheval de bataille, tel un preux chevalier, et, du haut des falaises de la Galice, au bord des flots de l’Océan, tendant son épée vers l’Amérique lointaine, comme pour en rapprendre le chemin aux Espagnols du XXe siècle. La presse germanophile entretient tant qu’elle peut ce mirage. Ne nous hâtons pas d’en sourire. Les Allemands nous prouvent qu’ils sont les hommes des longs desseins et des vastes pensées. Si leur politique mondiale a déjà des visées sur l’Amérique, — et c’est très vraisemblable, — il est naturel qu’ils songent à faire collaborer tous les élémens espagnols avec leurs propres nationaux (déjà si nombreux dans l’Amérique du Sud), en vue de la résistance et de la lutte éventuelle contre le Nord. L’hégémonie espagnole masquerait la mainmise et la conquête allemandes. Tout cela sans doute est encore dans le devenir. On ne parle pour l’instant que d’une sorte d’ « hégémonie d’honneur » exercée par l’Espagne continentale, en sa qualité de mère patrie, sur les Espagnes d’outre-mer. Ensuite, on réunirait en une vaste confédération toutes les républiques sud-américaines. C’est là le point délicat. Rien de plus facile, selon M. Vazquez de Mella, une fois que l’Espagne aura recouvré Gibraltar, sera devenue maîtresse du détroit, aura réalisé l’unité politique de la Péninsule par sa fédération avec le Portugal : « Alors, s’écrie-t-il dans un mouvement oratoire des plus entraînans, nous pourrons nous lever sur cette pointe extrême de l’Europe, et, nous adressant aux peuples de l’Amérique, nous leur dirons : Nous vous avons donné tout ce que nous avions… Nous vous avons créés de notre chair et de notre sang, vous êtes l’œuvre de notre civilisation (j’abrège, il y en a plus de vingt lignes sur ce ton), eh bien ! formons les Etats-Unis espagnols de l’Amérique du Sud, pour faire contrepoids aux Etats-Unis saxons de l’Amérique du Nord !…. » (Longue salve d’applaudissemens.)

Voilà donc les trois buts, — comparables aux trois buts classiques de Richelieu, — que M. Vazquez de Mella propose à l’activité renaissante de ses compatriotes. Tous trois sont solidaires : Gibraltar, Portugal et Amérique. La nécessité de reconquérir ces trois domaines perdus, c’est ce qu’il appelle « le triple dogme national » de l’Espagne. Encore une fois, gardons-nous de traiter à la légère ces développemens oratoires.