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nonchalance de nos vieux conteurs et de nos vieux moralistes. Miguel de Unamuno me déclarait son incompréhension de Corneille et de Racine : ce qui est le cas de presque tous les étrangers. Mais il ne comprend pas davantage Hugo, dont le verbalisme effréné le déconcerte. En revanche, il admire tout ce qu’il y de sérieux et de profond chez nos grands prosateurs, il a même un faible pour Joseph de Maistre ou pour des écrivains protestans comme Alexandre Vinet. Azorin, le brillant collaborateur de l’A. R. C, ne cesse de proclamer son culte pour notre Montaigne. Le romancier Pio Baroja critique, chez Flaubert, les minuties de la phrase, le manque de liberté dans la composition, mais la notation fragmentaire de Stendhal le ravit : il y trouve plus de vérité, plus de sincérité. Au fond, c’est cela surtout qu’ils cherchent. Ils ont le dédain de l’artificiel, du « bien parisien, » du genre boulevardier, du cabotinage sous toutes ses formes. Nos grands cabotins, nos grandes actrices nationales les horripilent. La futilité de tels de nos dramaturges en renom les met en fureur, ou excite leurs sarcasmes.

Ils comparent, et ils prétendent avoir mieux à nous offrir. Et alors ils en reviennent à leur éternel grief : « Vous ne vous occupez pas de nous ! Vous nous dédaignez !…. Tandis que les Allemands !…. » Il y a quelques mois, le secrétaire perpétuel de l’Académie espagnole, qui est germanophile, exaltait, au cours d’une interview, les travaux d’ensemble exécutés par les savans teutons sur la littérature espagnole et aussi les éditions de classiques espagnols, que les mêmes savans ont mis en circulation dans le monde entier. C’est un reproche fréquent. Ou bien on nous sait mauvais gré, lorsque nous daignons nous intéresser à l’Espagne, de n’y voir que ce qu’il y a de plus extérieur et de moins recommandable dans les mœurs. On nous en veut encore d’estropier la langue, lorsque nous citons une phrase courante ou de mal traduire les livres espagnols. Inversement, les traductions d’ouvrages français en mauvais castillan sont jugées avec sévérité. On explique ainsi le peu de succès de certaines brochures répandues ces derniers temps, par nos services de propagande. Les Espagnols mettent à défendre l’honneur de leur langue la même délicatesse jalouse qu’un chevalier à défendre l’honneur de sa dame. Récemment, l’alcade de Madrid proposait au Conseil municipal de frapper d’une