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On ne peut passer que par là. En bien des endroits, il faut s’y traîner à plat ventre. Des kilomètres de boyaux sillonnent la double zone de front organisée en chaque point de contact.

La guerre d’abris utilise naturellement les maisons. Au XVIIIe siècle, les armées s’écartaient avec soin de tout lieu habité qui eût rompu leur ordre rigide et favorisé l’indiscipline. Nous recherchons, nous autres, les villages. Une maison devient bientôt un petit fort. Les caves, surtout, à l’épreuve du canon moyen, servent de point d’appui à une forte résistance ; on les relie de maison en maison ; on les creuse encore ; on gabionne les soupiraux, qui ne laissent plus passer qu’une gueule de mitrailleuse.

La tranchée a son système nerveux, le réseau téléphonique. Par lui, isolée quelquefois des heures durant, elle reçoit des ordres et fait connaître sa situation. On lui annonce les attaques imminentes. Elle désigne des buts à l’artillerie.

Il existe une machine à creuser les tranchées, ou plutôt une charrue mécanique destinée à faire des canalisations. C’est en Belgique qu’elle a été inventée : les Allemands s’en sont emparés pour l’appliquer à la guerre. En une minute, la machine excave un fossé d’un mètre cube. En terre favorable, elle peut avancer ainsi de plus de 100 mètres à l’heure, alors qu’il faudrait une équipe de 200 hommes pour obtenir le même résultat à la pioche. Comme instrument militaire, elle offre toutefois le grave inconvénient d’être très vulnérable et de ne pouvoir suivre qu’avec une grande lenteur le mouvement des armées. Elle ne peut servir qu’à l’arrière des lignes de combat pour les tranchées préparées d’avance. Mais si c’est là une exception dans le passé, cela tend à devenir la règle générale dans l’avenir prochain. La machine à creuser aura donc sa large application.

Le front franco-belge,.à lui seul, représente un développement de 950 kilomètres. On a relevé à de certains endroits, rien que du côté allemand, trente-deux lignes de tranchées parallèles. Ajoutons-y les boyaux et nous ne pourrons pas estimer à moins de 40 000 kilomètres la longueur des fossés ainsi creusés. Les guerres futures en feront-elles un moindre usage ? L’élargissement des sphères d’opérations, l’ampleur des transports, la grandeur des effectifs sont des raisons pour en douter. Tant que la tranchée aura sa valeur défensive, il faudra pouvoir s’en