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superposent les visions d’épouvante. La guerre d’hommes, péniblement, se poursuivra dans la fange, au ras du sol, entre une guerre d’abeilles, les avions, et une guerre de termites, les sapeurs. Sous un ciel obscurci et empuanti, traversé d’immenses vols destructeurs, dans le fracas de la mitraille, sur un terrain bouleversé d’explosions internes, le soldat mécanicien s’accrochera désespérément à cette terre oscillante. Il y poussera ses pièces sur des traîneaux à boue. Il y vivra dans le brouillard et la suffocation.

Et l’effort décisif s’accomplira peut-être dans les interminables tunnels par où des millions d’hommes, entassés dans l’ombre, descendront frapper l’industrie militaire de l’ennemi jusqu’en son cœur. Les fabriques de munitions et de matériel de guerre, les usines centrales de produits chimiques se seront terrées sous les flancs de quelque montagne. Et c’est là que se livreront les dernières batailles, entre l’eau précipitée du sol et le feu allumé par les mines sous les pieds des combattans. Lumières éteintes, dans d’étroits corridors, tout gluans de sang, on s’égorgera sans se voir ; il faudra percer les cadavres pour déboucher dans les avenues de la place souterraine, qui se défendra encore par la foudre et parle poison. Quelle horreur !… Si le génie de l’homme reste appliqué à l’art de détruire, la guerre deviendra plus effroyable que toute imagination. Dès que se soulève un coin du voile, l’avenir nous montre des spectacles à faire frémir. Et, cependant, qui oserait affirmer aujourd’hui que l’ère de la paix soit vraiment prochaine !…

En se retournant vers le passé, on voit qu’il a démenti tous les espoirs des bonnes âmes croyant toucher aux jours de justice sans violence. L’homme est toujours un loup pour l’homme. Est-ce demain qu’il va changer ?… Et l’on s’aperçoit aussi que l’industrie de mort a dépassé de siècle en siècle les prévisions des experts. Sous les doigts de l’humanité, en toute matière naissent des merveilles qui surprennent sa vue et sa pensée ; la plus importante encore des branches de production et des sources de profit, l’art de tuer, n’est pas un rameau qui se dessèche sur l’arbre du progrès : il reste en pleine vie, il paraît en pleine croissance. La guerre s’égalera sans peine aux rêves les plus audacieux.


GEORGES BLANCHON,