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en Angleterre, où elle eut un grand retentissement. « Je ne crois pas, a dit lord Crewe dans une adresse publique de remerciement au vainqueur, qu’une petite armée ait jamais fait davantage en moins de temps, dans des conditions plus ardues, avec un succès plus complet. De la côte vers l’intérieur, il a fallu traverser une zone de cent milles de large, où ne tombe jamais une goutte d’eau, où, dans le sens le plus littéral, on ne trouve pas un brin d’herbe, pas une créature vivante, un Paradis de sable, et, à travers ce misérable désert, les colonnes devaient improviser un chemin de fer qu’il fallait chaque jour nettoyer du sable ; elles devaient distiller l’eau à la côte et la transporter pour les hommes et pour les bêtes, car, dans la région où elle ne manquait pas, l’eau avait été empoisonnée dans les puits… » Les résultats de la campagne de l’Ouest Africain se traduisaient par 3 497 prisonniers, 37 canons de campagne, 22 mitrailleuses et 320 milles carrés de territoire, le tout accompli avec un effectif inférieur à 10 000 hommes.

On le voit, toutes les grandes colonies anglaises, répudiant le préjugé séculaire, s’étaient voté des lois militaires où le principe du service obligatoire était posé, donnant ainsi l’exemple aux fils de la Vieille Angleterre !


Ces préliminaires exposés, examinons quel était l’état des questions militaires dans le Royaume-Uni, au moment où éclatait la guerre de 1914.

Au sujet de la défense de l’Empire britannique, deux théories se trouvaient en présence. D’une part, celle de la Blue Waters School, la vieille école classique des « eaux bleues. » Rappelant avec orgueil la fameuse tirade de Shakspeare, qui célèbre « l’île porte-sceptre, la terre de majesté, la forteresse que la nature s’est bâtie à elle-même contre l’invasion et les violences de la guerre, cette pierre précieuse enchâssée dans la mer d’argent, » l’école classique déclarait :

Lycurgue affirmait que les meilleurs remparts d’une nation étaient les poitrines de ses citoyens : l’Angleterre étant une île, ses forteresses sont les coques de ses navires et ses hommes d’armes, ses navires eux-mêmes[1].

  1. Chose curieuse, le langage lui-même a suivi cette idée, puisque les cuirassés de Sa Majesté britannique s’appellent en anglais les men of war, les hommes de guerre ; mais, par une singularité que nous ne nous chargeons pas d’expliquer, ces men of war sont, en anglais, du genre féminin.