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Flandre, la vérité se faisait jour, et cette déplorable crise aboutissait à l’heureuse création du Ministry for munitions, confié à M. Lloyd George.

Ce premier incident vint démontrer que tout ne marchait pas aussi bien que les dirigeans anglais en réitéraient paisiblement l’assurance : il alla jusqu’à éveiller des colères, des violences même, non pas contre les auteurs responsables de la crise des munitions, comme on aurait pu s’y attendre, mais contre la presse coupable d’avoir signalé courageusement ces incuries lamentables ! On vit le Times et le Daily Mail d’abord exclus des bureaux du Stock-Exchange, puis brûlés publiquement dans les rues de Londres : événement symptomatique si l’on considère l’universel respect dont le grave journal de la Cité était jusqu’alors entouré. Ces journaux, il est vrai, prenaient prétexte du shell scandal pour entamer une vigoureuse campagne en faveur du service obligatoire. Inde iræ

Un autre incident vint ébranler la molle confiance où s’engourdissait l’opinion. M. Winston Churchill, alors premier lord de l’Amirauté, déclarait publiquement au mois de juin « qu’un événement décisif était à la veille de se produire aux Dardanelles. » Or, depuis cette prédiction sensationnelle, rien ne s’était produit dans la péninsule de Gallipoli qu’une résistance acharnée des Turcs, et l’immobilisation absolue du front franco-anglais. M. Asquith déclarait dans son récent discours qu’aucune déception dans toute la guerre ne lui avait été plus sensible.

Enfin, quand elle connut le montant formidable des dépenses, quand elle sut le chiffre des pertes, atteignant 250 000 au 31 mai, aujourd’hui dépassant 500 000, en y joignant celles de la Navy, la nation anglaise prenait conscience des dures réalités : elle se rendait compte que la censure lui avait soigneusement caché les mauvaises nouvelles et transformé en succès importans quelques minces victoires (tiny victories) ; elle comprenait que l’ère allait s’ouvrir pour elle de sacrifices nouveaux en argent et en hommes.

Cependant, tandis que le Parti libéral ne cachait pas ses préférences pour la continuation du voluntary System, les Unionistes penchaient en faveur de l’obligation, eux qui déjà, aux précédentes élections législatives, avaient pris pour devise : « Tax the foreigner and défend the flag ! » (Taxez l’étranger et défendez le drapeau.)