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avoir une valeur ; les vieillards sont tués ou périssent de faim et de fatigue ; les jeunes femmes et les jeunes filles sont entraînées de force dans le harem des Turcs ou servent aux plaisirs des soldats ; les enfans en bas âge sont arrachés à leurs mères et donnés à des musulmans. Les Kurdes pillent et tuent ce qui a échappé à la rapacité féroce des soldats et des gendarmes. La plupart du temps les tristes caravanes ne vont pas loin ; le fusil, la baïonnette, la faim, la fatigue éclaircissent les rangs à mesure qu’elles s’avancent. Toutes les passions les plus hideuses de la bête humaine s’assouvissent aux dépens du lamentable troupeau. Il fond et disparait. Si quelques débris parviennent jusqu’en Mésopotamie, ils y sont laissés sans abris et sans vivres dans des pays désertiques ou marécageux ; la chaleur, l’humidité tuent à coup sûr les malheureux habitués au climat rude et sain des montagnes. Toute colonisation est impossible sans ressources, sans instrumens, sans aide, sans hommes valides : les derniers restes des caravanes arméniennes achèvent de mourir de fièvre et de misère.

En présence de ces scènes d’horreur et d’épouvante, il faut laisser parler les témoins oculaires. Voici d’abord le résumé d’un document qui nous vient d’Arménie ; c’est un simple énoncé de faits, dans une forme sèche, presque administrative.

« Environ un million d’Arméniens, qui peuplaient les provinces, ont été déportés de leur patrie et exilés vers le Sud. Ces déportations ont été faites très systématiquement par les autorités locales, depuis le commencement du mois d’avril. D’abord, dans tous les villages et dans toutes les villes, la population a été désarmée par les gendarmes et par les criminels élargis des prisons à cet effet et qui commettaient, sous prétexte de désarmement, des assassinats, et faisaient endurer des tortures horribles. Ensuite, on a emprisonné en masse les Arméniens, sous prétexte qu’on trouvait chez eux des armes, des livres, un nom de parti politique ; à défaut, la richesse ou une situation sociale quelconque suffisait comme prétexte. Et enfin, on commença la déportation. D’abord, sous prétexte d’envoyer en exil, on expatria ceux qui n’avaient pas été emprisonnés, ou ceux qui avaient été mis en liberté faute d’une accusation ; puis on les massacra. De ceux-ci, personne n’a échappé à la mort. Avant leur départ, l’autorité les a officiellement fouillés et a retenu tout argent ou objet de valeur. Ils étaient