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de témoignages particulièrement importans en raison des personnes de qui ils émanent.

Du consul des Etats-Unis à Kharpout (11 juillet) :

«…. Dans les premiers jours de juillet, on vit arriver à Kharpout les premiers convois d’Erzeroum et d’Erzingan, en haillons, sales, affamés, malades. Ils étaient restés deux mois en route, presque sans nourriture, sans eau. On leur donna du foin, comme à des bêtes ; ils étaient si affamés qu’ils se jetèrent dessus ; mais les zaptiehs (gendarmes) les repoussaient avec des bâtons, et quelques-uns furent tués. Les mères offraient leurs enfans à tous ceux qui voulaient les prendre. Les Turcs envoyèrent leurs médecins pour examiner les jeunes filles au point de vue sanitaire et pour choisir les plus jolies pour leur harem. D’après les récits de ces malheureux, le plus grand nombre avait été tué en route, constamment attaqués par les Kurdes ; beaucoup étaient morts de faim et d’épuisement.

« Deux jours après, nouvelle arrivée de convois. Il se trouvait dans le nombre trois sœurs qui parlaient anglais, appartenant à l’une des plus riches familles d’Erzeroum. Sur vingt-cinq membres de leur famille, onze avaient été tués en route. Le mari de l’une d’elles et leur vieille grand’mère avaient été massacrés par les Kurdes sous leurs yeux. Un garçon de huit ans était le plus âgé des mâles survivans. En route, on leur avait tout pris, même les vêtemens qu’ils avaient sur le corps ; une était absolument nue ; les deux autres avaient chacune un linge. Dans un village, des gendarmes leur avaient donné quelques vêtemens des habitans. La fille du pasteur protestant d’Erzeroum était là, tous les membres de sa famille avaient été tués en route par les bandes kurdes, qui les attendaient au passage, les hommes en premier lieu, mais aussi les femmes et les enfans. Tout était soigneusement organisé, comme dans les précédens massacres.

« A Kharpout, les mesures de déportation commencèrent par l’arrestation de plusieurs milliers d’hommes… On a dit que tous ceux qui avaient été conduits dans la montagne y avaient été tués. Le matin du 5 juillet, on en arrêta encore 800, et le 6, on les envoya dans la montagne. Là ils furent attachés par groupes de quatorze, c’était la longueur de la corde, et on les fusilla. Dans un village voisin, une autre troupe fut enfermée dans la mosquée et dans les maisons les plus proches, on les y