Page:Revue des Deux Mondes - 1916 - tome 31.djvu/562

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

arméniens, qui présentent un grand danger pour notre fidèle alliée turque et qui sont l’instrument de nos ennemis mortels, l’Angleterre et la Russie. Si les Turcs ne se défendaient pas énergiquement contre le danger arménien, ils rendraient à leurs alliés un tout aussi mauvais service qu’à eux-mêmes. Voilà pourquoi, nous autres Allemands, nous devons considérer cette question arménienne non seulement comme intéressant la Turquie, mais encore tous ses alliés, et la soutenir contre les attaques venues du dehors[1]. »

On doit dire, à la décharge des Allemands, qu’il s’est trouvé parmi eux des consciences moins atrocement utilitaires que celle du comte Reventlow. Depuis quelque temps, des protestations s’élèvent ; certains catholiques font écho à la voix du Pape ; certains pasteurs protestans publient des récits pitoyables envoyés par les sociétés de missions. Le Dr Lepsius est allé à Constantinople pour faire une enquête ; on fait courir le bruit qu’il prépare une publication stigmatisant les crimes turcs et l’abstention allemande : mais la raison d’état laissera-t-elle paraître une telle publication ? Jusqu’ici, d’autres savans, tels que Lehmanhaupt, Marquart, Strjigovsky, qui avaient publié des livres pleins d’éloges pour la race arménienne, se sont tus. Lepsius sera-t-il plus éloquent ?

Il est temps encore de sauver quelques débris de la race arménienne, de rendre à la liberté les prisonniers, de délivrer les malheureux enfans islamisés de force, les femmes enfermées dans les harems, de nourrir les réfugiés parvenus en Mésopotamie. Les massacres d’Arméniens ne sont pas une histoire close : l’extermination continue, se généralise. La persécution sévit aux environs de Constantinople. De la région d’ismidt, 180 000 personnes ont été dernièrement dirigées sur Karamanli pour, de là, continuer un voyage dont le terme est la mort. A Buldur, à Starta, vers le mois d’octobre, les Arméniens ont été exterminés ; après avoir tué les hommes, les Turcs ont violé les femmes et les ont jetées avec les enfans dans des précipices. — Les Arméniens de Thrace ont été réunis en un convoi et expédiés en Anatolie ; ils ont disparu en chemin. — A Césarée, les Arméniens ont été mis en route, par groupes de mille, les hommes dans une direction, les femmes dans une

  1. Deutsche Tageszeitung, 19 décembre 1915.