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un acte de fraternité religieuse qui était comme le prélude de la fraternité civique. C’est par de telles méthodes que l’Eglise de Genève préservait l’intégrité du peuple de Dieu.

Les magistrats, politiques prudens, cédant aux désirs de Messieurs de Berne, qu’intimidait le ministre du roi de France, empêchaient les imprimeurs genevois de publier des protestations contre la Saint-Barthélémy, mais ils donnaient à la force militaire de la ville, dès lors répartie en quatre régimens, l’organisation qu’elle devait conserver pendant plus de trois cents ans. Car, à l’horizon de la cité du Refuge, des nuages s’accumulaient : un quart de siècle s’ouvrait, durant lequel Genève, en butte aux hostilités presque constantes de Charles-Emmanuel de Savoie, n’allait trouver, pour résister, que le concours d’alliances souvent inconstantes, alliance des Bernois, alliance d’Henri IV.

Ce fut durant cet effrayant quart de siècle, entre 1580 et 1605, que Genève acheva de se bien connaître, en luttant pour sa vie, et que devint évidente pour toutes les consciences l’intime solidarité du peuple et de l’Église. Le peuple s’armait, se battait, faisait sentinelle ; et parce que ce peuple était en même temps une Eglise, les délégués qu’il expédiait en Angleterre, en Écosse, en Germanie, en Pologne, en Hongrie, en Transylvanie, pour avoir de l’argent, rentraient à Genève, les mains pleines. L’argent qu’on envoyait à l’Académie pour la gloire et la diffusion de la Réforme, payait, aux heures critiques, l’achat des armes ou l’équipement des troupes ; la Réforme avait besoin que ce coin de terre demeurât libre ; et cela, d’avance, justifiait les viremens de fonds, qui attribuaient à des soldats ce que de pieuses âmes avaient offert pour les prédicans. « Prie Dieu, écrivait Bèze à l’un de ses amis, qu’il protège ce nid d’hirondelles dans lequel tant d’oiselets, chassés de toute part, se réfugient à tire-d’aile, si nombreux que la place suffit à peine à leurs essaims. »

Il s’en fallut de peu, dans la nuit du 11 au 12 décembre 1602, que le nid d’hirondelles fût surpris, et pour jamais aboli. Déjà 300 Savoyards, que suivaient quelques milliers d’autres, avaient commencé la nuit, pendant que Genève dormait, l’escalade de ses murailles : déjà quelques-uns étaient dans la place. Mais le sommeil de Genève n’était jamais qu’un sommeil de gendarme : d’un cri, un de ses factionnaires la mit debout ; elle acheta, par la mort vaillante de dix-sept de ses citoyens, la fuite passive,