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personne d’un jésuite, le Père Alexandre, aumônier des troupes savoyardes, croyait entendre ce « vipère » haranguer les soudards : « Là, mes enfans, il ne vous faut rien craindre. Dépêchez de monter, je vous fais aller tous en paradis. » Mais c’est au gibet que Genève les avait menés ; et la chanson, continuant, donnait d’atroces détails sur leurs grimaces de pendus. « Vous auriez mené les ministres dans Rome, insistait-elle, pour les montrer à Sa Sainteté, aux cardinaux et à leur suite, aux évêques et à la cafardaille qui les auraient rôtis. » L’Escalade, pour la suite des temps, apparaissait ainsi aux imaginations genevoises comme l’issue merveilleuse du duel de Rome contre une petite ville, de l’Antéchrist contre le Christ, de Salan contre Dieu.

Les chanoines qui occupaient les stalles de l’église des Cordeliers d’Annecy continuaient à s’appeler chanoines de Genève ; mais dans les rares stalles de Saint-Pierre que la Réforme primitive eût respectées, la Réforme continuait de s’asseoir ; et lorsque saint François de Sales pensait à Genève, dont il se considérait comme « exilé, » son rêve d’apôtre était tout endolori. « Il semble impossible, écrivait en 1613, le géographe Davity, qu’on arrache à jamais l’hérésie de cette ville par moyens humains, si ce n’est en exterminant tous ses habitans. » Les Genevois retenaient ce pronostic et ne redoutaient pas la catastrophe ; ils concluaient, du souvenir même de l’Escalade, que Dieu avait besoin de Genève, puisque Dieu l’avait sauvée. Et comme Dieu avait besoin de Genève, Genève, sans honte, à travers le XVIIe siècle, se fera quêteuse auprès des divers États réformés, pour l’entretien de ces remparts que protégeait Dieu : on verra l’un de ses plus robustes théologiens, François Turrettini, s’en aller en Hollande en 1661, avec mission de rappeler que Rome haïssait Genève et que toutes les Eglises réformées se trouvaient intéressées au salut de cette ville ; il en rapportera 75 000 florins. Le bastion de Hollande, le bastion de Hesse, s’ajouteront aux remparts comme de nouveaux ouvrages ; ils marqueront l’aide pécuniaire donnée par la Hollande, par la Hesse, à la cité de Dieu.


III

Ce n’était pas tout de s’armer ; il fallait continuer, non point certes de mériter le salut de la ville, car ce salut n’était qu’une