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plus ingrate qu’ait connue le protestantisme, celle durant laquelle, n’ayant pas encore renoncé à imposer des vérités, ils n’en voulaient pas imposer un trop grand nombre, et ne savaient pas, du reste, à quel titre ils les imposaient. Fréquentes étaient les heures où ces pasteurs se trouvaient gênés pour affirmer, gênés pour nier. On compatit beaucoup, dans le recul des temps, au malaise de ces hommes de bonne volonté, qui se trouvaient à peu près à mi-chemin entre la déviation calvinienne du principe de la Réforme et ce principe lui-même, entre un dogmatisme intransigeant et les pleines exigences de l’individualisme, et qui ne savaient ni comment avancer, ni comment reculer, ni même comment marquer le pas.


IX

Or, en ce temps-là, c’était en 1754, il se trouva que Voltaire frappait aux portes de Genève pour y devenir propriétaire. Grosse difficulté : Voltaire était catholique. Le médecin Tronchin prêta son nom ; en 1755, les Délices furent à Voltaire, et jamais catholique ne fit plus de mal à la vieille Genève que ce catholique-là. Le pasteur Jacob Vernet, dans une lettre naïve et pompeuse, lui confia l’espoir qu’il voudrait bien s’unir à la Vénérable Compagnie pour détourner la jeunesse genevoise de l’irréligion qui conduit au libertinage. Et Voltaire de répondre : « Je suis trop vieux, trop malade, et un peu trop sévère pour les jeunes gens. » Jacob Vernet respira-t-il, crut-il que Voltaire allait être sévère ? C’eût été de sa part une invraisemblable naïveté. Car Voltaire adorait le théâtre ; dans Genève, un clergé le prohibait ; le duel était inévitable. Voltaire regarda, écouta, constata que ce clergé, dont les rigueurs disciplinaires se réclamaient de Calvin, ne croyait plus ce qu’avait cru Calvin, que Genève était un pays rempli de « vrais philosophes, » que « le christianisme raisonnable était la religion de presque tous les ministres. »

Voltaire allait faire savoir au monde ce qu’était ce christianisme raisonnable ; et qu’il se rapprochait de l’arianisme ; et qu’il confinait au socinianisme. Il amènerait l’Europe à demander à Genève : qu’avez-vous fait du Christ de Calvin ? Il amènerait l’Europe à conclure que ces pasteurs ne se laissaient plus gêner par les idées de ce Calvin, si ce n’est quand il s’agissait de